Le Collier de la Reine, Tome I | Page 3

Alexandre Dumas, père
aucun commentaire. Quand je veux qu'on sache une chose, je la dis; quand je ne la dis pas, je veux qu'on l'ignore.
Le ma?tre d'h?tel s'inclina une seconde fois, et cette fois plus respectueusement peut-��tre que s'il e?t parl�� �� un roi r��gnant.
--Ainsi donc, monsieur, continua le vieux mar��chal, vous voudrez bien, puisque je n'ai que des gentilshommes �� d?ner, me faire d?ner �� mon heure habituelle, c'est-��-dire �� quatre heures.
�� cet ordre, le front du ma?tre d'h?tel s'obscurcit, comme s'il venait d'entendre prononcer son arr��t de mort. Il palit et plia sous le coup.
Puis, se redressant avec le courage du d��sespoir:
--Il arrivera ce que Dieu voudra, dit-il; mais monseigneur ne d?nera qu'�� cinq heures.
--Pourquoi et comment cela? s'��cria le mar��chal en se redressant.
--Parce qu'il est mat��riellement impossible que monseigneur d?ne auparavant.
--Monsieur, dit le vieux mar��chal en secouant avec fiert�� sa t��te encore vive et jeune, voil�� vingt ans, je crois, que vous ��tes �� mon service?
--Vingt-et-un ans, monseigneur; plus un mois et deux semaines.
--Eh bien, monsieur, �� ces vingt-et-un ans, un mois, deux semaines, vous n'ajouterez pas un jour, pas une heure. Entendez-vous? r��pliqua le vieillard, en pin?ant ses l��vres minces et en fron?ant son sourcil peint, d��s ce soir vous chercherez un ma?tre. Je n'entends pas que le mot impossible soit prononc�� dans ma maison. Ce n'est pas �� mon age que je veux faire l'apprentissage de ce mot. Je n'ai pas de temps �� perdre.
Le ma?tre d'h?tel s'inclina une troisi��me fois.
--Ce soir, dit-il, j'aurai pris cong�� de monseigneur, mais au moins, jusqu'au dernier moment, mon service aura ��t�� fait comme il convient.
Et il fit deux pas �� reculons vers la porte.
--Qu'appelez-vous comme il convient? s'��cria le mar��chal. Apprenez, monsieur, que les choses doivent ��tre faites ici comme il me convient, voil�� la convenance. Or, je veux d?ner �� quatre heures, moi, et _il ne me convient pas_, quand je veux d?ner �� quatre heures, que vous me fassiez d?ner �� cinq.
--Monsieur le mar��chal, dit s��chement le ma?tre d'h?tel, j'ai servi de sommelier �� M. le prince de Soubise, d'intendant �� M. le prince cardinal Louis de Rohan. Chez le premier, Sa Majest�� le feu roi de France d?nait une fois l'an; chez le second, Sa Majest�� l'empereur d'Autriche d?nait une fois le mois. Je sais donc comme on traite les souverains, monseigneur. Chez M. de Soubise, le roi Louis XV s'appelait vainement le baron de Gonesse, c'��tait toujours un roi; chez le second, c'est-��-dire chez M. de Rohan, l'empereur Joseph s'appelait vainement le comte de Packenstein, c'��tait toujours l'empereur. Aujourd'hui, M. le mar��chal re?oit un convive qui s'appelle vainement le comte de Haga: le comte de Haga n'en est pas moins le roi de Su��de. Je quitterai ce soir l'h?tel de Monsieur le mar��chal, ou M. le comte de Haga y sera trait�� en roi.
--Et voil�� justement ce que je me tue �� vous d��fendre, monsieur l'ent��t��; le comte de Haga veut l'incognito le plus strict, le plus opaque. Pardieu! je reconnais bien l�� vos sottes vanit��s, messieurs de la serviette! Ce n'est pas la couronne que vous honorez, c'est vous-m��me que vous glorifiez avec nos ��cus.
--Je ne suppose pas, dit aigrement le ma?tre d'h?tel que ce soit s��rieusement que monseigneur me parle d'argent.
--Eh non! monsieur, dit le mar��chal presque humili��, non. Argent! qui diable vous parle argent? Ne d��tournez pas la question, je vous prie, et je vous r��p��te que je ne veux point qu'il soit question de roi ici.
--Mais, monsieur le mar��chal, pour qui donc me prenez-vous? Croyez-vous que j'aille ainsi en aveugle? Mais il ne sera pas un instant question de roi.
--Alors ne vous obstinez point, et faites-moi d?ner �� quatre heures.
--Non, monsieur le mar��chal, parce qu'�� quatre heures, ce que j'attends ne sera point arriv��.
--Qu'attendez-vous? un poisson? comme M. Vatel.
--M. Vatel, M. Vatel, murmura le ma?tre d'h?tel.
--Eh bien! ��tes-vous choqu�� de la comparaison?
--Non; mais pour un malheureux coup d'��p��e que M. Vatel se donna au travers du corps, M. Vatel est immortalis��!
--Ah, ah! et vous trouvez, monsieur, que votre confr��re a pay�� la gloire trop bon march��?
--Non, monseigneur, mais combien d'autres souffrent plus que lui dans notre profession, et d��vorent des douleurs ou des humiliations cent fois pires qu'un coup d'��p��e, et qui cependant ne sont point immortalis��s!
--Eh! monsieur, pour ��tre immortalis��, ne savez-vous pas qu'il faut ��tre de l'Acad��mie, ou ��tre mort?
--Monseigneur, s'il en est ainsi, mieux vaut ��tre bien vivant et faire son service. Je ne mourrai pas, et mon service sera fait comme e?t ��t�� fait celui de Vatel, si M. le prince de Cond�� e?t eu la patience d'attendre une demi-heure.
--Oh! mais vous me promettez merveilles; c'est adroit.
--Non, monseigneur, aucune merveille.
--Mais qu'attendez-vous donc alors?
--Monseigneur veut que je le lui dise?
--Ma foi! oui, je suis curieux.
--Eh bien, monseigneur, j'attends une bouteille de vin.
--Une bouteille de vin! expliquez-vous, monsieur; la chose commence
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