baron; parce que la dernière fois qu'on te l'a
permis, tu as été méchant.
--Alors, que vais-je donc faire? demanda le fou.
--Écoute, reprit le baron, pour te distraire un instant, veux-tu danser la
tarentelle?
--Ah! oui, la tarentelle, s'écria le fou avec un accent joyeux dans lequel
il ne restait pas la moindre trace de sa colère passée; la tarentelle.
--Allez lui chercher Thérésa et Gaëtano, dit le baron Pisani en
s'adressant à l'un des gardiens; puis se retournant vers nous:--Thérésa,
continua-t-il, est une folle furieuse, et Gaëtano est un ancien maître de
guitare qui est devenu fou. C'est le ménétrier de l'établissement.
Un instant après, nous vîmes arriver Thérésa; deux hommes la portaient,
et elle faisait d'incroyables efforts pour s'échapper de leurs mains.
Gaëtano la suivait gravement avec sa guitare, mais sans que personne
eût besoin de l'accompagner, car sa folie était des plus inoffensives.
Mais à peine Thérésa eut-elle aperçu le baron, qu'elle courut dans ses
bras en l'appelant son père; puis, l'entraînant dans un coin de la cellule,
elle se mit à lui raconter tout bas les tracasseries qu'on lui avait faites
depuis le matin.
--C'est bien, mon enfant, c'est bien, dit le baron, j'ai appris tout cela à
l'instant même, voilà pourquoi j'ai voulu te récompenser en te donnant
un instant d'agrément: veux-tu danser la tarentelle?
--Ah! oui, ah! oui, la tarentelle, s'écria la jeune fille en allant se placer
devant son danseur, qui depuis un instant s'était déjà mis en mouvement
et qui pelotait tout seul tandis que Gaëtano accordait son instrument.
--Allons, Gaëtano, allons, presto, presto, dit le baron.
--Un instant, votre majesté, il faut que l'instrument soit d'accord.
--Il me croit le roi de Naples, reprit le baron; il eût été trop fier pour
entrer an service d'un particulier, mais je l'ai fait premier musicien de
ma chapelle, je lui ai donné le titre de chambellan, je l'ai décoré du
grand cordon de Saint-Janvier, de sorte qu'il est fort satisfait. Si vous
lui parlez ayez la bonté de l'appeler excellence.--Eh bien, maëstro, où
en sommes-nous?
--Voilà, votre majesté, dit le musicien en commençant l'air de la
tarentelle.
J'ai déjà dit l'effet magique de cet air sur les Siciliens, mais jamais je
n'avais vu un résultat pareil à celui qu'il opéra sur les deux fous; leurs
figures se déridèrent à l'instant même, ils firent claquer leurs doigts
comme des castagnettes, et ils commencèrent une danse dont le baron
pressa de plus en plus la mesure; au bout d'un quart d'heure ils étaient
en sueur tous deux, et n'en continuaient pas moins, suivant la mesure
toujours plus précise avec une justesse étonnante: enfin, l'homme
tomba le premier, épuisé de fatigue; cinq minutes après la femme se
coucha à son tour; on mit l'homme sur son lit et l'on emporta la femme
dans sa chambre. Le baron Pisani répondait d'eux pour vingt-quatre
heures. Quant au guitariste, on l'envoya dans le jardin faire les délices
du reste de la société.
M. le baron Pisani nous fit alors passer dans une grande salle, où,
quand par hasard il fait mauvais, les malades se promènent: cette salle
était pleine de fleurs, et les murs étaient tout couverts de fresques
représentant presque toutes des sujets bouffons. C'est là surtout que le
bon docteur, qui connaît à fond le genre de folie de chacun de ses
pensionnaires, fait les études les plus curieuses; il les prend par-dessous
le bras, les conduit tantôt devant une fresque, tantôt devant une autre, et
les explique à ses malades ou se les fait expliquer par eux: une de ces
fresques représente le gentil paladin Astolfe allant chercher dans la lune
la fiole qui contient la raison de Roland. Je demandai alors au baron
comment il avait osé placer dans une maison de fous un tableau qui fait
allusion à la folie.--Ne dites pas trop de mal de cette fresque, me
répondit le baron; elle en a guéri dix-sept.
Outre les fleurs logées dans les embrasures de ses fenêtres et les
fresques peintes sur ses murailles, cette salle contenait un certain
nombre de tambours à tapisserie, de métiers de tisserand et de rouets à
filer; chacun de ces instruments portait quelque ouvrage commencé par
les fous. Une des premières règles de la maison est le travail; quiconque
ne connaît aucun métier, bêche la terre, tire de l'eau aux pompes ou
porte du bois. Les dimanches et les jours de fête ceux qui veulent se
distraire, lisent, dansent, jouent à la balle, ou se balancent sur des
escarpolettes; le baron prétendant qu'une occupation quelconque est un
des plus puissants remèdes à la folie, et qu'il faut toujours que les fous
travaillent ou s'amusent, fatiguent le corps ou occupent l'esprit.
L'expérience au reste est pour lui: proportion gardée, il guérit un
nombre d'aliénés double de ceux que guérissent les
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