voir de quelle façon il traitait ses fous furieux: nous
répondîmes que nous étions à ses ordres, pourvu qu'il nous garantit que
nous nous en tirerions avec nos yeux; il se mit à rire, prit une clef des
mains du gardien, et ouvrit la porte.
Cette porte donnait dans une chambre matelassée de tous côtés, et dans
laquelle il n'y avait pas de vitraux, de peur sans doute que celui qui
l'habitait ne se blessât en brisant les carreaux. Cette absence de clôture
n'était, au reste, qu'un très-médiocre inconvénient; l'exposition de la
chambre étant au midi, et le climat de la Sicile étant constamment
tempéré.
Dans un coin de cette chambre il y avait un lit, et sur ce lit un homme
vêtu d'une camisole de force qui lui serrait les bras autour du corps et
lui fixait les reins à la couchette. Un quart d'heure auparavant il avait eu
un accès terrible, et les gardiens avaient été obligés de recourir à cette
mesure répressive, fort rare, au reste, dans cet établissement. Cet
homme pouvait avoir de trente à trente-cinq ans, avait dû être
extrêmement beau, de cette beauté italienne qui consiste dans des yeux
ardents, dans un née recourbé, et dans une barbe et des cheveux noirs,
et était bâti comme un Hercule.
Lorsqu'il entendit ouvrir la porte, ses rugissements redoublèrent; mais à
peine en soulevant la tête ses regards eurent-ils rencontré ceux du baron,
que ses cris de rage se changèrent en cris de douleur, qui bientôt
eux-mêmes dégénérèrent en plaintes. Le baron s'approcha de lui, et lui
demanda ce qu'il avait fait pour qu'on l'attachât ainsi. Il répondit qu'on
lui avait enlevé Angélique, et qu'alors il avait voulu assommer Médor.
Le pauvre diable se figurait qu'il était Roland, et malheureusement,
comme son patron, sa folie était une folie furieuse.
Le baron le tranquillisa tout doucement, lui assurant qu'Angélique avait
été enlevée malgré elle, mais qu'à la première occasion elle
s'échapperait des mains de ses ravisseurs pour venir le rejoindre. Peu à
peu cette promesse, renouvelée d'une voix pleine de persuasion, calma
l'amant désolé, qui demanda alors au baron de le détacher. Le baron lui
fit donner sa parole d'honneur qu'il ne chercherait pas à profiter de sa
liberté pour courir après Angélique; le fou la lui donna de la meilleure
foi du monde. Alors le baron délia les boucles qui l'attachaient, et lui
enleva la camisole de force, tout en le plaignant sur le malheur qui
venait de lui arriver. Cette sympathie à ses malheurs imaginaires eut
son effet; quoique libre, il n'essaya pas même de se lever, mais
seulement s'assit sur son lit. Bientôt ses plaintes dégénérèrent en
gémissements, et ses gémissements en sanglots; mais, malgré ces
sanglots, pas une larme ne sortait de ses yeux. Depuis un an qu'il était
dans l'établissement, le baron avait fait tout ce qu'il avait pu pour le
faire pleurer, mais il n'avait jamais pu y réussir. Il comptait un jour lui
annoncer la mort d'Angélique, et le faire assister à l'enterrement d'un
mannequin; il espérait que cette dernière crise lui briserait le coeur, et
qu'il finirait enfin par pleurer. S'il pleurait, M. Pisani ne doutait plus de
sa guérison.
Dans la chambre en face était un autre fou furieux, que deux gardiens
balançaient dans un hamac où il était attaché. A travers les barreaux de
sa fenêtre, Il avait vu ses camarades se promener dans le jardin, et il
voulait aller se promener avec eux; mais comme à sa dernière sortie il
avait failli assommer un fou mélancolique, qui ne fait de mal à
personne et se promène ordinairement en ramassant les feuilles sèches
qu'il trouve dans son chemin et qu'il rapporte précieusement dans sa
cellule pour en composer un herbier, on s'était opposé à son désir. Ce
qui l'avait mis dans une telle colère qu'on avait été obligé de le lier dans
son hamac, ce qui est la seconde mesure de répression; la première
étant l'emprisonnement; la troisième, le gilet de force. Au reste, il était
frénétique, faisait tout ce qu'il pouvait pour mordre ses gardiens, et
poussait des cris de possédé.
--Eh bien! lui demanda le baron en entrant, qu'y a-t-il? Nous sommes
donc bien méchant aujourd'hui!
Le fou regarda le baron, et passa de ses hurlements à de petits cris
pareils à ceux d'un enfant qui pleure.
--On ne veut pas me laisser aller jouer, dit-il; on ne veut pas me laisser
aller jouer.
--Et pourquoi veux-tu aller jouer?
--Je m'ennuie ici, je m'ennuie; et il se remit à vagir comme un poupard.
--Au fait, dit le baron Pisani, tu ne dois pas t'amuser, attaché comme
cela; attends, attends. Et il le détacha.
--Ah! fit le fou en sautant à terre et en étendant ses bras et jambes; ah!
maintenant je veux aller jouer.
--C'est impossible, dit le
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