Le Cap au Diable, Légende Canadienne | Page 8

Charles DeGuise
Anglais, qui étaient établis le long de la c?te, à la place des malheureux Acadiens expropriés, les quelques effets qui pouvaient être utiles et agréables à ses protégées. Mais le printemps qui apporte, pour le pauvre au moins, un soupir de soulagement et une larme d'espérance; pour l'homme qui jouit de l'aisance, un sentiment de satisfaction par anticipation des jouissances que la nouvelle saison doit lui donner, était pour les pauvres expatriés chargé d'orages.
Où iraient-ils fixer leurs demeures? En quel endroit seraient-ils hors des atteintes de leurs implacables ennemis? était-il un lieu à l'abri de leurs rapines, où l'on put fournir le pain et la nourriture à la famille et aux pauvres enfants qui les réclamaient? Telles furent les questions que se posèrent les Acadiens de la colonie que M. St.-Aubin avait formée.
Plusieurs décidèrent de demeurer dans les bois, d'autres résolurent, d'aller rejoindre leurs concitoyens échelonnés sur la c?te, protégés seulement par l'isolement et l'inhospitalité des parages qu'ils habitaient. Madame St.-Aubin se voyant seule, à bout de toutes ressources, et ne voulant plus être à charge du généreux Jean Renousse ainsi qu'à ses compagnons, prit la résolution du se rendre en Canada. En effet, de vagues rumeurs étaient parvenues que dans ces pays lointains un bon nombre d'Acadiens avaient, dans le voisinage de Montréal, fondés une petite colonie.
Jean Renousse, dans ces rapports avec les traitants anglais, avait appris d'une manière certaine qu'un vaisseau portant un certain nombre d'émigrants avait mis à la voile pour le Canada. D'après le nombre de jours qu'il était en mer, il ne tarderait pas à être en vue.
V
Que nos lecteurs nous permettent de les transporter au-delà de l'Océan. Nous sommes dans un port de mer: Voyons l'activité qui y règne. Des centaines de vaisseaux déchargent d'un c?té du quai d'amples provisions de charbon et de coton, d'autres, les riches soieries et les magnifiques produits de l'Orient. Tout le monde est à l'oeuvre. Partout il y a joie, car il y a gain pour tous.
Mais d'où vient donc cette foule d'hommes en haillons, ces femmes amaigries et presque nues, ces pauvres enfants si frêles, si chétifs, qui occupent un tout petit espace du quai? D'où viennent ces pleurs et ces gémissements à fendre l'ame? Ces embrassements pleins de regrets et de tendresse? Ah! c'est qu'un père vient peut-être pour la dernière fois de presser dans ses bras ses enfants bien-aimés! C'est que des amis viennent de dire un adieu peut-être éternel aux compagnons de leur enfance! C'est que, pour la dernière fois, on a jeté un regard de douleur sur la vieille chaumière qui nous a vus na?tre! C'est que, dans un dernier embrassement, nous avons échangé avec les amis émus, une dernière poignée de mains, que pour toujours, nous avons salué les c?tes de l'Irlande, dont aucun de ses enfants ne peut parler sans verser une larme de regret! Et ces malles, et ces paquets, que contiennent-ils, sinon les pauvres vêtements des malheureux Irlandais. Mais dans le navire qui est en partance, que de cris joyeux. A peine entend-on l'ordre du contrema?tre: "Embarque, embarque;" voilà le mot qui se fait entendre.
Inutile de le dire, nous le voyons déjà que trop, ce batiment est chargé d'émigrants pour l'Amérique. Voyez sur le gaillard d'arrière cet homme à la figure replète et trapue, comme il savoure avec délices les bouffées de tabac qui s'échappent de sa longue pipe d'écume de mer; quels regards distraits il jette sur la gazette qu'il lient entre ses mains; comme les nouvelles sont loin de l'absorber; il hoche dédaigneusement la tête en voyant les pleurs des malheureux enfants de la verte Erin. Dans le fond que sont-ils pour lui? Des Irlandais catholiques, il est protestant. Que lui importe donc si la plus grande partie d'eux n'atteint pas les c?tes de l'Amérique? Que lui importe si l'espace qu'il leur a destinée dans son vaisseau n'est pas suffisant? Que lui importe si les aliments dont il a fait provision ne peuvent suffire à une moitié de ceux qu'il entasse à son bord? Sa bourse n'est-elle pas bien remplie, et si le typhus, le choléra ou mille autres maladies viennent les décimer, n'a-t-il pas devant lui un immense cimetière; comme bien d'autres qui l'ont suivi, il peut dire à chacune de ces victimes qu'on jette dans l'Atlantique; "Si une tombe, un mausolée, était élevé à chacune d'elles, ou n'aurait pas besoin de boussole pour aller dans le Nouveau-Monde."
Tel était le "Boomerang" capitaine Brand, quelques jours avant le moment où nous venons de laisser Madame St.-Aubin. Les communications étaient alors bien difficiles entre l'Acadie et le Canada. C'était donc une belle occasion qui se présentait pour Madame. St.-Aubin de se rendre dans ce dernier pays. Là on pouvait correspondre plus facilement avec l'Europe et les états-Unis et qui sait, peut-être avoir des renseignements sur celui auquel, à
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