Le Cap au Diable, Légende Canadienne | Page 7

Charles DeGuise
des consolations et des secours, s'en retournaient en lui offrant des larmes de gratitude et de bénédictions: mais sa pensée se reporta surtout sur la main bien-aimée qui après Dieu lui avait fait ce bonheur si tot passé. Hélas! elle n'était plus auprès d'elle pour la soutenir et la protéger avec son enfant, cette main tant aimée et tant regrettée! Reverrait-elle jamais celui auquel elle adressait chaque jour une pensée, un souvenir, une larme! Et lorsque la dernière flamme vint jeter une lueur vacillant et dispara?tre pour toujours, elle comprit alors qu'une barrière insurmontable venait de s'abaisser entre elle et son passé. Il ne lui restait plus désormais que l'avenir, mais quel avenir? L'hiver s'approchant avec son nombreux cortège de froid, de privations et de misères; nul asile pour la recevoir, à charge aux pauvres gens qui n'avaient pas même de quoi se nourrir, qu'allait-elle devenir? Accablée sous le poids de tant de malheurs elle sentait le désespoir la gagner, lorsque tombant à genoux, elle s'écria: "Mon Dieu, mon Dieu, vous êtes maintenant notre seul et unique espoir. Ce n'est pas en vain que la veuve et l'orphelin vous implorent, ayez pitié de nous." Cette courte mais fervente prière fut immédiatement exaucée. En relevant la tête, elle aper?ut, à quelques pas d'elle, la figure bienveillante et amicale de Jean Renousse qui, n'osant dire un mot, paraissait attendre ses ordres: "Jean, lui dit-elle, en lui remettant son enfant dans ses bras prends soin de cette pauvre petite, veilles sur elle, c'est en toi seul, après Dieu, en qui nous devons nous confier. Peut-être ne pourrai-je jamais récompenser dignement ton généreux dévouement pour nous jusqu'à ce jour, mais compte sur une reconnaissance qui ne s'éteindra qu'avec ma vie." "Madame lui répondit celui-ci, d'une voix émue et avec noblesse. Dieu m'est témoin que si j'ai taché de vous être utile jusqu'ici ce n'est pas dans l'espoir d'une récompense; je donnerais volontiers ma vie pour pouvoir vous rendre ce que vous avez perdu; mais de grace n'allez pas vous désespérer! A deux pas d'ici est ma pauvre cabane, la vieille Martine, votre servante, vous y attend. J'ai pu sauver quelques linges et des provisions. Venez, Madame et tant que Jean Renousse pourra porter un fusil, vous et la petite ne manquerez pas de nourriture et de vêtements." Chargé de son précieux fardeau, il conduisit Madame St.-Aubin dans sa demeure où Martine l'attendait. Un feu brillant avait été allumé, le lit de sapins avait été renouvelé, on y avait étendu les quelques couvertures que Jean Renousse, dans sa sollicitude, avait sauvées du pillage.
La marmite était au feu. On offrit à Madame St.-Aubin les quelques aliments qu'on avait préservés; elle en prit ce qu'il lui en fallait pour se soutenir et s'empêcher de mourir. La petite mangea avec l'appétit qu'on a à quatre ans, puis toutes les deux vaincues par les émotions de la journée, la fatigue et le sommeil qui les gagnaient, s'étendirent sur le lit de sapin et ne tardèrent pas à s'endormir profondément. Jean Renousse et Phédor se couchèrent à l'entrée de la cabane et firent bonne garde toute la nuit.
Lorsque Madame St.-Aubin s'éveilla le matin, tous les malheureux proscrits, ses compagnons d'infortune, lui avaient construite une demeure un peu plus confortable: c'était une misérable masure de pièces qui lui offrait un séjour plus spacieux mais qu'il y avait loin de là à la maison qu'elle avait laissée.
Comment l'hiver se passa-t-il? Laissons à M. Rameau de dépeindre ce que durent souffrir les malheureuses victimes de l'expatriation. Cest d'ailleurs de lui que nous emprunterons la partie historique de ce récit, en ce qui concerne les Acadiens:
"Quelle que fut l'apre sollicitude que montrèrent les anglais, un certain nombre d'individus cependant se sauvèrent de la proscription. Comment ces pauvres gens purent-ils vivre dans les bois et les déserts? par quelle suite d'aventures et de souffrances ont-ils passé, pendant de longues années en présence de spectateurs auxquels on distribua leurs biens? c'est ce que nous ignorons..."
"Là pendant plusieurs années, ils parvinrent à dérober leur existence au milieu des inquiétudes et des privations, cachant Soigneusement leurs petites barques, n'osant se livrer à la culture, faisant le guet quand paraissait un navire inconnu, et partageant avec leurs amis, les indiens de l'intérieur, les ressources précaires de la chasse et de la pêche."
Enfin le printemps arriva. Jamais dans les longues journées d'hiver, le zèle et le dévouement de Jean Renousse ne s'était ralentis une seule fois. Sous le commandement de Bois-Hébert il avait été faire le coup de feu contre les Anglais, puis aussit?t sa tache achevée, il était revenu prendre son r?le de pourvoyeur. Souvent, dans le cours de l'hiver, on l'avait vu parcourir des distances considérables, refouler au plus profond de son ame tout sentiment de haine et d'antipathie, qu'il avait voué aux Anglo-Américains et rapporter des traitants
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