Le Cap au Diable, Légende Canadienne | Page 6

Charles DeGuise
par M. St.-Aubin pour le retour. Que pouvait-il lui être arrivé qui le retint si longtemps, lui toujours si exact à revenir à l'heure dite. Déjà accompagner de la petite Hermine, Mme. St.-Aubin avait parcouru des distances assez considérables pour aller à à sa rencontre, et chaque fois, elle était toujours revenue de plus en plus triste. C'était le soir de la dixième journée après le départ de M. St. Aubin. Assise dans le salon et tenant son enfant dans ses bras, elle ne pouvait se défendre du vague et inexprimable sentiment qui l'obsédait. Pour la première fois de sa vie, les babillages et les calineries de sa petite fille ne pouvaient la tirer de sa sombre préoccupation. Le ciel était bas et chargé, le feuillage jaunissant qui entourait sa demeure et le froid vent de nord qui s'était élevé, ajoutait encore à sa tristesse. Parfois une feuille desséchée, poussée par la brise, courait dans l'avenue déserte, où, d'une minute à l'autre, elle espérait voir arriver celui qu'elle attendait avec tant d'angoisses.
Les heures s'écoulaient lentement, et la soirée était avancée. Vaincue par le sommeil, la petite s'était endormie en demandant à sa mère: "quand donc papa reviendra-t-il!" Alors deux larmes involontaires vinrent briller aux paupières de la pauvre femme; elle pressa avec transport son enfant sur son coeur; celle-ci ouvrit les yeux, lui sourit doucement et comme une prière, le mot papa s'échappa encore de ses lèvres, et elle se rendormit. C'en était trop; n'y pouvant plus tenir, et presque sans pouvoir s'en rendre compte, Madame St. Aubin se mit à fondre en larmes.
Longtemps elle pleura, quand des pas bien distincts retentirent autour de la maison, et la porte s'ouvrit: Te voilà donc enfin, s'écria-t-elle, s'élan?ant au-devant de celui qui arrivait. Mais jugez de sa stupeur! c'était Jean Renousse! Jean Renousse, pale, sanglant et défiguré, qui venait lui apprendre la terrible nouvelle!!........
Bien des fois déjà et au moindre bruit, elle avait tressailli, puis toute palpitante d'émotion et de joie, elle allait ouvrir et tendre les bras; mais vain espoir, ce n'était point les pas du cheval, ce n'était point non plus les joyeux aboiements de Phédor, mais bien le vent qui, mugissant tristement dans les arbres, lui apportait, chaque fois une poignante déception.
La foudre tombée à ses pieds n'eut pas produit plus d'effets. Madame St.-Aubin s'affaissa sur elle-même. On la transporta mourante dans son lit. Deux jours entiers se passèrent pendant lesquels elle luta contre la mort. Dans son délire, elle appelait avec transport son mari, demandant avec égarement à chaque instants aux personnes qui se présentaient, son époux bien-aimé; et lorsqu'on lui apportait son enfant, elle la repoussait durement. La pauvre petite qui ne comprenait rien à la conduite étrange de sa mère, allait alors se cacher dans un coin de la chambre, elle pleurait amèrement; et comme si elle se fut crue coupable, elle revenait auprès du lit, baisant les mains de sa mère, elle lui disait: "Ma bonne maman, embrasse-donc encore la petite Hermine, elle ne te fera plus de mal, lèves-toi et allons au-devant de papa." Enfin, son tempérament et surtout l'idée de laisser sa pauvre enfant complètement orpheline, rendirent quelques forces à Madame St.-Aubin, mais une insurmontable tristesse s'empara d'elle, et bient?t cette demeure naguère si heureuse ne devint plus qu'un séjour de deuil et de larmes.
Là, toutefois ne devaient pas s'arrêter ses malheurs.
La rage des pirates n'était pas encore satisfaite, il fallait de nouvelles dépouilles à leur rapacité et de nouvelles victimes à leur vengeance.
Peu de temps après les événements que nous venons de rapporter, on signala au large un vaisseau de guerre portant pavillon anglais. Instruite par l'expérience, la petite colonie, après avoir recueilli tout ce qu'elle avait de plus précieux, crut prudent de se sauver dans les bois. Madame St.-Aubin elle-même, réunit tout ce qu'elle put avec l'aide de ses domestiques et de Jean Renousse, et dut aller les rejoindre en toute hate, car le vaisseau s'approchait de la c?te avec une effrayante rapidité.
Il n'y avait pas longtemps qu'elle avait abandonné ses foyers si chers pour s'enfoncer dans les bois avec ses fidèles domestiques, lorsque gravissant une petite éminence où ses compagnons d'infortune l'attendaient, elle vit les tourbillons de flamme et de fumée s'élever dans la direction de sa demeure et de celles des malheureux qui l'entouraient. Ce navrant spectacle leur apprit à tous que les vandales étaient à leur oeuvre de pillage et de destruction. Longtemps elle contempla les cendres br?lantes de sa pauvre demeure qui s'élevaient et retombaient tour-à-tour comme font chacune de nos illusions du jeune age. Elle jeta un coup-d'oeil en arrière, vers les jours heureux qu'elle avait passés sous ce toit fortuné, vers les objets si chers qu'elle y rencontrait à chaque instant, vers les personnes qui l'entouraient et les autres qui, après être venues lui demander
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