Le Cap au Diable, Légende Canadienne | Page 5

Charles DeGuise
Si nous n'avions pas d'autre destinée, je vous dirais adieu! oui un adieu qui, peut-être, serait éternel; mais à des chrétiens, à ceux qui croient en la parole sainte, je vous dis au revoir! Oui, encore une fois, au revoir!...."
La scène qui suivit se con?oit plut?t qu'elle ne se décrit. Nous nous permettrons d'emprunter à M. Rameau le récit que fait M. Ney, sur le lamentable événement du lendemain:
"Le 10 septembre fut le jour fixé pour l'embarquement. Dés le point du jour les tambours résonnèrent dans les villages, et à huit heures le triste son de la cloche avertit les pauvres Fran?ais que le moment de quitter leur terre natale était arrivé. Les soldats entrèrent dans les maisons et en firent sortir tous les habitants, qu'on rassembla sur la place. Jusque là chaque famille était restée réunie et une tristesse indicible régnait parmi le peuple. Mais quand le tambour annon?a l'heure de l'embarquement, quand il leur fallut abandonner pour toujours la terre où ils étaient nés, se séparer de leurs mères, de leurs parents, de leurs amis, sans espoir de les revoir jamais; emmenés par des étrangers leurs ennemis; dispersés parmi ceux dont ils différaient par le langage, les coutumes, la religion; alors accablés par le sentiment de leurs misères, ils fondirent en larmes et se précipitèrent dans les bras les uns des autres dans un long et dernier embrassement."
"Mais le tambour battait toujours et on les poussa vers les batiments stationnés dans la rivière. 260 jeunes gens furent désignés d'abord pour être embarqués sur le premier batiment, mais ils s'y refusèrent, déclarant qu'ils n'abandonneraient pas leurs parents, et qu'ils, ne partiraient qu'au milieu de leurs famille. Leur demande fut rejetée! les soldats croisèrent la ba?onnette et marchèrent sur eux; ceux qui voulurent résister furent blessés, et tous furent obligés de se soumettre à cette horrible tyrannie."
"Depuis l'église jusqu'au lieu de l'embarquement, la route était bordée d'enfants, de femmes qui, à genoux, au milieu de pleurs et de sanglots, bénissaient ceux qui passaient, faisaient leurs tristes adieux à leurs maris, à leurs fils, leur tendant une main tremblante, que leurs parents parvenaient quelquefois à saisir, mais le soldat brutal venait bient?t les séparer. Les jeunes gens furent suivis par les hommes plus agés, qui traversèrent aussi, à pas lents, cette scène déchirante; toute la population male des Mines fut jetée à bord de cinq vaisseaux de transport stationnés dans la rivière Gaspareaux. Chaque batiment était sous la garde de 6 officiers et de 80 soldats. A mesure que d'autres navires arrivèrent, les femmes et les enfants y furent embarqués et éloignés ainsi, en masse, des champs de la Nouvelle-écosse. Le sort aussi déplorable qu'inou? de ces exilés excita la compassion de la soldatesque même.... Pendant plusieurs soirées consécutives les bestiaux se réunirent autour des ruines fumantes, et semblaient y attendre le retour de leurs ma?tres, tandis que les fidèles chiens de garde hurlaient près des foyers déserts."
M. St.-Aubin, comme toutes les autres notabilités, fut l'objet d'une surveillance particulière. Malgré les efforts héro?ques de Jean Renousse, malgré les ruses et les stratagèmes qu'il employa pour sauver son ma?tre de la proscription, Celui-ci fut obligé de subir la loi cruelle du plus fort. Blessé grièvement dans la lutte qui venait d'avoir lieu, ce ne fut qu'avec peine que Jean Renousse lui-même réussit à se soustraire aux mains des ravisseurs. Il gravit une petite éminence, et ce fut là, la mort dans l'ame, qu'il fut témoin des scènes de violence et de brutalité qui viennent d'être racontées. Malgré son état de faiblesse, il suivit d'un oeil morne et désespéré la chaloupe qui emportait son bienfaiteur, se reprochant amèrement de n'avoir pas réussi à le sauver. En dépit des tristes préoccupations auxquelles il était en proie, Jean Renousse ne p?t s'empêcher de remarquer un point noir qui suivait l'embarcation. C'était Phédor. Le noble animal, quoique blessé, avait voulu suivre son ma?tre, pour le protéger et le défendre au besoin. Il réalisait une fois de plus l'idée du peintre qui représente un chien suivant seul le corbillard qui conduit son ma?tre à sa dernière demeure. C'est le dernier ami qui reste quand nous avons tout perdu du c?té des hommes! Il vit tout-à-coup un matelot se lever et asséner un coup de rames sur la tête du fidèle serviteur, celui-ci poussa un gémissement plaintif et disparut. C'en était trop, épuisé par le sang qu'il avait perdu et par les émotions de la journée, Jean Renousse perdit connaissance. Lorsqu'il revint à lui, Phédor, couché auprès de lui, léchait son visage et ses mains. comme s'il eut voulu le rappeler à la vie. La nuit était venue, les dernières lueurs de l'incendie doraient encore l'horizon. C'en était fait! les anglais avaient accompli leur acte odieux de vandalisme et d'implacable vengeance!...
IV
Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis le moment fixé
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