Le Cap au Diable, Légende Canadienne | Page 4

Charles DeGuise
éclatants du leur bravoure. Ces faits démontrent ce que peut une poignée d'hommes héro?ques, ne comptant que sur leurs seules ressources, qui s'arment vaillamment sans s'occuper de la force pécuniaire ou numérique de ceux qu'ils ont à combattre, mais qui ont résolus de défendre jusqu'à la fin, leur religion, leurs foyers et leurs droits, Combien n'y eut-il pas de luttes sanglantes et désespérées où le lion anglais d?t s'avouer battu par le moucheron acadien, et pour ainsi dire, obligé de fuir honteusement devant lui. Mais l'orgueil britannique s'insurgeait et écumait de rage, en voyant ces quelques braves tenir tête à ses nombreuses armées! Le gouverneur Lawrence crut plus prudent et plus s?r, là où la force avait échouée, d'employer la ruse et la perfidie. Le plan fut tra?treusement combiné et habilement exécuté.
Vers la fin d'ao?t 1755, cinq vaisseaux de guerre, chargés d'une soldatesque avide de pillage, mirent à la voile et vinrent jeter l'ancre en face d'un poste florissant par son commerce, la fertilité de ses terres et l'industrie de ses habitants. On fit savoir à plusieurs des cantons voisins qu'ils eussent à se rendre à un endroit indiqué pour entendre une importante communication, qui devait leur être donnée de la part du gouverneur. Plusieurs soup?onnant un piège prirent la fuite et se sauvèrent dans les bois, en entendant cette proclamation. Mais le plus-grand nombre, avec un esprit tout chevaleresque, se confiant à la loyauté anglaise, se rendit à l'appel.
Chaque année, M. St.-Aubin était obligé de faire un voyage aux Mines, endroit important de commerce pour y transiger les affaires de son négoce. Le trajet était long et les chemins n'étaient pas toujours s?rs dans ce temps-là. Par une malheureuse fatalité, il y arriva le cinq septembre au matin, jour fixé par la proclamation pour la réunion des acadiens. Jean Renousse et le fidèle terre-neuve lui avaient servi de gardes de corps pendant le voyage.
M. St.-Aubin comme les habitants du lieu, se rendit à l'appel. Ce fut là qu'on leur signifia qu'ils étaient prisonniers de guerre, qu'à part de leur argent et de leurs vêlements, tout ce qu'ils possédaient appartenait désormais au roi, et qu'ils se tinssent prêts à être embarqués pour être déportés et disséminés dans les colonies anglaises. L'ordre était formel, on ne leur accordait que quatre jours de répit. Il est impossible de peindre Ici stupeur et le désespoir que produisit cette nouvelle; plusieurs refusèrent de croire qu'on exécutat jamais un acte d'aussi lache et exécrable tyrannie, mais le plus grand nombre s'enfermèrent dans leurs maisons et passèrent dans les larmes et les sanglots, les quelques heures qui précédèrent leur séparation. D'autres essayèrent de fuir, mais vainement. Des troupes avaient été disposées dans les bois, ils se trouvèrent cernes de toute part et furent donc ramenés au camp, après avoir essuyé toutes sortes d'avanies et de mauvais traitements.
Ce fut à grand'peine que le vénérable curé obtint du commandant la permission de les réunir le neuf septembre, veille du départ, dans la vieille église pour y célébrer le saint sacrifice et leur adresser quelques paroles de consolation et d'adieu. Personne ne fut jamais témoin, peut-être, d'une scène plus déchirante. Tous les visages étaient inondés de larmes. L'église retentissait des sanglots et des sourds gémissements des malheureuses victimes. Lorsqu'avant la communion, le bon prêtre voulut leur dire quelques mots, il y eut une véritable explosion de plaintes et de cris de désespoir. Il fut lui-même longtemps avant que de pouvoir dominer son émotion, et ce fut après de longs et pénibles efforts qu'il put, d'une voix brisée par la douleur, leur faire entendre ces paroles:
"C'est peut-être pour la dernière fois, mes bons frères, que vous allez partager le pain des anges dans ce lieu saint. C'est lui qui donne le courage et la force de braver les tourments et les persécutions des méchants. C'est lui qui sera votre soutien, votre consolation dans les temps malheureux que nous traversons. Dieu seul conna?t ce que l'avenir nous réserve à tous, mais rappelons-nous que nous avons au ciel un bras tout-puissant, qui saura déjouer les complots des méchants: que ceux qui pleurent seront consolés et qu'ils recevront avec usure la récompense des larmes qu'ils auront versées. Car qu'est-ce que la terre que nous habitons, sinon un lieu d'exil et de misères, mais le ciel, voila notre patrie, vers laquelle doivent tendre nos désirs et nos aspirations. Séparés sur la terre, c'est là où nous serons ensemble réunis, c'est là que nous pourrons défier les persécutions des hommes. Recevez donc, mes chers frères, et encore une dernière fois, la bénédiction d'un prêtre qui, le coeur navré d'appréhensions pour l'avenir de ses enfants, mais confiant dans le Dieu qui prend soin de ses créatures et jusqu'au plus petit de ses oiseaux, le prie de vouloir bien vous accorder encore des jours calmes et heureux.
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