Lavinia | Page 5

George Sand
avoir trop connu le bonheur d'��tre aim��, avait ��puis�� en d��tail la force de son ame; pour avoir essay�� trop t?t des passions, il s'��tait rendu incapable de ressentir jamais une passion profonde. Sous des traits males et beaux, sous l'expression d'une physionomie jeune et forte, il cachait un coeur froid et us�� comme celui d'un vieillard.
?Voyons, Lionel, dites-moi pourquoi vous n'avez pas ��pous�� Lavinia Buenafe, aujourd'hui lady Blake par votre faute? car enfin, sans ��tre rigoriste, quoique je sois assez dispos�� �� respecter, parmi les privil��ges de notre sexe, le sublime droit du bon plaisir, je ne saurais, quand j'y songe, approuver beaucoup votre conduite. Apr��s lui avoir fait la cour deux ans, apr��s l'avoir compromise autant qu'il est possible de compromettre une jeune miss (ce qui n'est pas chose absolument facile dans la bienheureuse Albion), apr��s lui avoir fait rejeter les plus beaux partis, vous la laissez l�� pour courir apr��s une cantatrice italienne, qui certes ne m��ritait pas d'inspirer un pareil forfait. Voyons, Lavinia n'��tait-elle pas spirituelle et jolie? n'��tait-elle pas la fille d'un banquier portugais, juif �� la v��rit��, mais riche? n'��tait-ce pas un bon parti? ne vous aimait-elle pas jusqu'�� la folie?
--Eh! mon ami, voici ce dont je me plains: elle m'aimait beaucoup trop pour qu'il me f?t possible d'en faire ma femme. De l'avis de tout homme de bon sens, une femme l��gitime doit ��tre une compagne douce et paisible, Anglaise jusqu'au fond de l'ame, peu susceptible d'amour, incapable de jalousie, aimant le sommeil, et faisant un assez copieux abus de th�� noir pour entretenir ses facult��s dans une assiette conjugale. Avec cette Portugaise au coeur ardent, �� l'humeur active, habitu��e de bonne heure aux d��placements, aux moeurs libres, aux id��es lib��rales, �� toutes les pens��es dangereuses qu'une femme ramasse en courant le monde, j'aurais ��t�� le plus malheureux des maris, sinon le plus ridicule. Pendant quinze mois, je m'abusai sur le malheur in��vitable que cet amour me pr��parait. J'��tais si jeune alors! j'avais vingt-deux ans; souvenez-vous de cela, Henry, et ne me condamnez pas. Enfin, j'ouvris les yeux au moment o�� j'allais commettre l'insigne folie d'��pouser une femme amoureuse folle de moi.... Je m'arr��tai au bord du pr��cipice, et je pris la fuite pour ne pas succomber �� ma faiblesse.
[Illustration: ill3-3.png]
--Hypocrite! dit Henry. Lavinia m'a racont�� bien autrement cette histoire: il para?t que, longtemps avant la cruelle d��termination qui vous fit partir pour l'Italie avec la Rosmonda, vous ��tiez d��j�� d��go?t�� de la pauvre juive, et vous lui faisiez cruellement sentir l'ennui qui vous gagnait aupr��s d'elle. Oh! quand Lavinia raconte cela, je vous assure qu'elle n'y met point de fatuit��; elle avoue son malheur et vos cruaut��s avec une modestie ing��nue que je n'ai jamais vu pratiquer aux autres femmes. Elle a une fa?on �� elle de dire: ?Enfin, je l'ennuyais.? Tenez, Lionel, si vous lui aviez entendu prononcer ces mots, avec l'expression de na?ve tristesse qu'elle sait y mettre, vous auriez des remords, je le parierais.
--Eh! n'en ai-je pas eu! s'��cria Lionel. Voil�� ce qui nous d��go?te encore d'une femme: c'est tout ce que nous souffrons pour elle apr��s l'avoir quitt��e; ce sont ces mille vexations dont son souvenir nous poursuit; c'est la voix du monde bourgeois qui crie vengeance et anath��me, c'est la conscience qui se trouble et s'effraie; ce sont de l��gers reproches bien doux et bien cruels que la pauvre d��laiss��e nous adresse par les cent voix de la renomm��e. Tenez, Henry, je ne connais rien de plus ennuyeux et de plus triste que le m��tier d'homme �� bonnes fortunes.
--A qui le dites-vous!? r��pondit Henry d'un ton vaillant, en faisant ce geste de fatuit�� ironique qui lui allait si bien. Mais son compagnon ne daigna pas sourire, et il continua �� marcher lentement, en laissant flotter les r��nes sur le cou de son cheval, et en promenant son regard fatigu�� sur les d��licieux tableaux que la vall��e d��roulait �� ses pieds.
Luz est une petite ville situ��e �� environ un mille de Saint-Sauveur. Nos dandys s'y arr��t��rent; rien ne put d��terminer Lionel �� pousser jusqu'au lieu qu'habitait lady Lavinia: il s'installa dans une auberge et se jeta sur son lit en attendant l'heure fix��e pour le rendez-vous.
Quoique le climat soit infiniment moins chaud dans celte vall��e que dans celle de Bigorre, la journ��e fut lourde et br?lante. Sir Lionel, ��tendu sur un mauvais lit d'auberge, ressentit quelques mouvements f��briles, et s'endormit p��niblement au bourdonnement des insectes qui tournoyaient sur sa t��te dans l'air embras��. Son compagnon, plus actif et plus insouciant, traversa la vall��e, rendit des visites �� tout le voisinage, guetta le passage des cavalcades sur la route de Gavarni, salua les belles ladys qu'il aper?ut �� leurs fen��tres ou sur les chemins, jeta de brillantes oeillades aux jeunes Fran?aises, pour lesquelles il avait une pr��f��rence d��cid��e, et
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