lune. De petits seaux de bois d'olivier verni étaient remplis
des plus belles fleurs de la montagne. Lavinia avait cueilli elle-même,
dans les plus désertes vallées et sur les plus hautes cimes, ces
belladones au sein vermeil, ces aconits au cimier d'azur, au calice
vénéneux; ces sylènes blanc et rose, dont les pétales sont si
délicatement découpés; ces pâles saponaires; ces clochettes
transparentes et plissées comme de la mousseline; ces valérianes de
pourpre; toutes ces sauvages filles de la solitude, si embaumées et si
fraîches, que le chamois craint de les flétrir en les effleurant dans sa
course, et que l'eau des sources inconnues au chasseur les couche à
peine sous son flux nonchalant et silencieux.
Cette chambrette blanche et parfumée avait, en vérité, et, comme à son
insu, un air de rendez-vous; mais elle semblait aussi le sanctuaire d'un
amour virginal et pur. Les bougies jetaient une clarté timide; les fleurs
semblaient fermer modestement leur sein à la lumière; aucun vêtement
de femme, aucun vestige de coquetterie ne s'était oublié à traîner sur les
meubles: seulement un bouquet de pensées flétries et un gant blanc
décousu gisaient côte à côte sur la cheminée. Lionel, poussé par un
mouvement irrésistible, prit le gant et le froissa dans ses mains. C'était
comme l'étreinte convulsive et froide d'un dernier adieu. Il prit le
bouquet sans parfum, le contempla un instant, lit une allusion amère
aux fleurs qui le composaient, et le rejeta brusquement loin de lui.
Lavinia avait-elle posé là ce bouquet avec le dessein qu'il fût commenté
par son ancien amant?
Lionel s'approcha de la fenêtre et écarta les rideaux pour faire diversion,
par le spectacle de la nature, à l'humeur qui le gagnait de plus en plus.
Ce spectacle était magique. La maison, plantée dans le roc, servait de
bastion à une gigantesque muraille de rochers taillés à pic, dont le Gave
battait le pied. A droite tombait la cataracte avec un bruit furieux; à
gauche un massif d'épicéas se penchait sur l'abîme; au loin se déployait
la vallée incertaine et blanchie par la lune. Un grand laurier sauvage qui
croissait dans une crevasse du rocher apportait ses longues feuilles
luisantes au bord de la fenêtre, et la brise, en les froissant l'une contre
l'autre, semblait prononcer de mystérieuses paroles.
Lavinia entra, tandis que Lionel était plongé dans cette contemplation;
le bruit du torrent et de la brise empêcha qu'il ne l'entendît. Elle resta
plusieurs minutes debout derrière lui, occupée sans doute à se recueillir,
et se demandant peut-être si c'était là l'homme qu'elle avait tant aimé;
car, à cette heure d'émotion obligée et de situation prévue, Lavinia
croyait pourtant faire un rêve. Elle se rappelait le temps ou il lui aurait
semblé impossible de revoir sir Lionel sans tomber morte de colère et
de douleur. Et maintenant elle était là, douce, calme, indifférente
peut-être....
Lionel se retourna machinalement et la vit. Il ne s'y attendait pas, un cri
lui échappa; puis, honteux d'une telle inconvenance, confondu de ce
qu'il éprouvait, il fit un violent effort pour adresser à lady Lavinia un
salut correct et irréprochable.
Mais, malgré lui, un trouble imprévu, une agitation invincible,
paralysait son esprit ingénieux et frivole, cet esprit si docile, si
complaisant, qui se tenait toujours prêt, suivant les lois de l'amabilité, à
se jeter tout entier dans la circulation, et à passer, comme l'or, de main
en main pour l'usage du premier venu. Cette fois, l'esprit rebelle se
taisait et restait éperdu à contempler lady Lavinia.
C'est qu'il ne s'attendait pas à la revoir si belle.... Il l'avait laissée bien
souffrante et bien altérée. Dans ce temps-là les larmes avaient flétri ses
joues, le chagrin avait amaigri sa taille; elle avait l'oeil éteint, la main
sèche, une parure négligée. Elle s'enlaidissait imprudemment alors, la
pauvre Lavinia! sans songer que la douleur n'embellit que le coeur de la
femme, et que la plupart des hommes nieraient volontiers l'existence de
l'âme chez la femme, comme il fut fait en un certain concile de prélats
italiens.
Maintenant Lavinia était dans tout l'éclat de cette seconde beauté qui
revient aux femmes quand elles n'ont pas reçu au coeur d'atteintes
irréparables dans leur première jeunesse. C'était toujours une mince et
pâle Portugaise, d'un reflet un peu bronzé, d'un profil un peu sévère;
mais son regard et ses manières avaient pris toute l'aménité, toute la
grâce caressante des Françaises. Sa peau brune était veloutée par l'effet
d'une santé calme et raffermie; son frêle corsage avait retrouvé la
souplesse et la vivacité florissante de la jeunesse; ses cheveux, qu'elle
avait coupés jadis pour en faire un sacrifice à l'amour, se déployaient
maintenant dans tout leur luxe en épaisses torsades sur son front lisse et
uni; sa toilette se composait d'une robe de mousseline de l'Inde et d'une
touffe de bruyère blanche cueillie dans
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