d'apparence
insolvable, en disant:
--Complet! Si je possédais la vaste salle de l'Académie royale de
musique, jeune homme, je ne serais pas obligé de refuser tous les jours
ma fortune!
II
Le roi des étudiants
Elle était pleine la baraque de madame Canada, première physicienne
des diverses capitales de l'Europe, véritablement pleine. Mais comme
notre drame est tout entier dans la jeune dame blonde qui avait cédé à
l'enfantin caprice de sa fillette, nous ne nous occuperons que de
Petite-Reine et de sa mère.
Entrées les premières, elles étaient naturellement au premier rang, et le
parcimonieux éclairage de la scène tombait d'aplomb sur elles. Il est
probable que les trois quinquets servant de rampe et de lustre au
Théâtre Français et Hydraulique n'avaient jamais envoyé leurs fumeux
rayons à rien de si exquis. L'enfant était gracieuse adorablement, mais
la jeune mère était plus gracieuse encore.
Certes, le lecteur n'a pu supposer que nous ayons eu l'idée folle
d'introduire, pour lui, une grande dame dans la baraque de madame
Canada. Madame Lily, ou, comme on l'appelait encore dans le quartier
Mazas, la Gloriette n'était ni comtesse ni baronne; elle tenait même, et
par plus d'un côté très apparent, à la classe populaire; mais il y avait
dans son maintien quelque chose de si net et de si décent; sa toilette,
très simple, portait un cachet si modestement mesuré, et en même
temps si élégant, malgré l'humble valeur des objets qui la composaient,
qu'on eût hésité, en conscience, à la ranger dans la catégorie des
simples ouvrières.
Elle portait haut, sans le vouloir, sans le savoir aussi; elle était
«distinguée» en dépit du petit cabas qui lui pendait au bras, car, il faut
bien vous le dire, elle était venue à la barrière du Trône tout exprès
pour acheter son dîner un peu moins cher que dans Paris.
Elle était jolie tout uniment et si franchement que son aspect épandait
une joie. Il y avait en elle un délicat rayonnement de vie et de jeunesse
à peine voilé par une nuance de mélancolie, qui n'était pas sa nature
même, et qui trahissait à demi le secret d'un malheur fièrement
supporté.
Pourquoi l'appelait-on la Gloriette? vous croirez l'avoir deviné quand je
vous aurai dit que l'homme au teint bronzé, cette manière de nabab
qu'Échalot appelait le marchand d'esclaves, assis non loin d'elle, n'osa
point lui adresser la parole, malgré sa pauvre robe noire, coton et laine;
son châle également noir, qui n'était pas même en vrai mérinos, et son
chapeau dont le taffetas avait des reflets un peu fauves.
Non, ce n'était pas pour cela; ce n'était pas non plus pour le regard
presque toujours souriant, mais parfois si hautain de ses grands yeux
noirs, délicieux contraste à sa blonde chevelure.
Un matin, et il y avait déjà longtemps, Petite-Reine ne marchait pas
encore, on avait vu madame Lily monter en fiacre avec une robe de
soie et un châle qui pouvait bien être un cachemire.
Le châle et la robe n'avaient jamais reparu, et cette banque populaire
qui porte un si drôle de nom: le mont-de-piété, savait sans doute ce que
la robe et le châle étaient devenus. Ce n'était pas encore pour cela, non.
Les voisins de madame Lily l'appelaient la Gloriette, à cause de Justine,
sa chère gloire, sa fille, son trésor chéri, qui avait aussi l'honneur d'un
surnom: Petite-Reine. Il faut d'ordinaire la fortune, le talent ou le vice
pour émouvoir les cancans d'un quartier de Paris. Madame Lily était
très pauvre; elle n'avait aucun talent connu, elle vivait seule et
rigoureusement retirée. Pourtant Dieu sait que son quartier s'occupait
d'elle.
On était parvenu à savoir vaguement quelques couplets d'une légende
dont elle était l'héroïne.
Elle venait de très bas--de si bas que beaucoup se demandaient si elle
n'était point un peu princesse.
Pour trouver sa patrie, il fallait passer la Seine, et remonter le boulevard
de l'Hôpital. Au-delà de la barrière d'Italie, il existait alors une ville
étrange, toute composée de chiffonniers qui s'étaient bâti des maisons
avec l'impossible.
Cette ville avait des quantités de noms. Elle s'appelait Babylone,
Pékin-la-Guenille, le Camp-des-Aristos, la Garouille, la Californie, ou
la vallée de Cachemire, au choix.
Quatre ou cinq ans en ça, il y avait dans cette cité de la misère
parisienne toujours prête à se railler elle-même une jeune fille belle
comme les amours et qui n'avait jamais porté la hotte, occupée qu'elle
était du matin au soir à servir les habitués de la Maison-d'Or.
La Maison-d'Or de Pékin-la-Guenille, bien autrement achalandée que
l'établissement du même nom, situé boulevard des Italiens, était une
grande masure, construite avec des os, de la boue, du papier, des
tessons de bouteille et des copeaux. Nous citons seulement les
principaux matériaux; en soumettant ses murailles à l'analyse, on eût
trouvé d'incroyables fantaisies. Le toit était presque
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