Lart russe | Page 2

Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc
que j'ai trop
longtemps délaissé; recueillons-en les débris épars, oubliés, qu'il
reprenne sa place!»
Cette pensée, qui mériterait d'être méditée ailleurs qu'en Russie, était
trop dans nos sentiments pour que nous n'ayons pas saisi avidement
l'offre qui nous a été faite de reconstituer cet art à l'aide de ces débris.
Dès lors ont été mis à notre disposition une masse énorme de
documents avec un empressement qui indique assez combien le sujet
tient au coeur des vrais Russes. Monuments, manuscrits, copies de
tableaux, de sculptures, procédés de construction, faits historiques,
textes ont été recueillis dans les vieilles provinces russes, et ces
renseignements réunis nous ont bientôt permis de porter l'examen de la
critique au milieu de ce chaos.
C'est ainsi que nous avons pu séparer les courants divers qui sont venus
se fondre sur le territoire russe et qui ont, dès le XIIe siècle, constitué
un art original, susceptible de progrès, en relation intime avec l'art
byzantin, sans cependant se confondre avec celui-ci.
Mais d'abord il sera bon de définir exactement ce qu'on entend par art
byzantin.

L'art byzantin est lui-même un composé d'éléments très divers, et son
originalité, autant qu'il en possède, est due à l'harmonie établie entre
ces éléments, les uns empruntés à l'extrême Orient, d'autres à la Perse,
beaucoup à l'art de l'Asie Mineure et même à Rome.
A quelques-unes de ces sources, la Russie a été puiser directement, sans
recourir à l'intermédiaire de Byzance; elle a reçu de première main des
traditions orientales d'une grande valeur; puis, elle s'est assimilé les arts
gréco-byzantins à une époque reculée, ainsi que nous le verrons.
On a trop souvent, nous paraît-il, considéré en Russie comme une
imitation absolue de l'art byzantin une influence et une similitude
d'origine, et on n'a pas tenu un compte suffisant, pour apprécier la
valeur de ces origines, du développement prodigieux des arts en Orient
au commencement de notre ère.
Alors les vastes territoires compris entre la mer Noire, la mer
Caspienne et la mer d'Aral, et qui s'étendent au nord du grand Altaï
jusqu'à la Mongolie et la Mandchourie, n'étaient pas totalement
abandonnés à la barbarie. Au nord comme au sud du grand désert de
Chamo ou de Mongolie, existaient des civilisations adonnées aux arts
et à l'industrie. Pendant le XIIIe siècle encore, l'empire des Mongols,
qui occupait cette zone étendue de l'Asie, était florissant, ainsi que le
prouvent les voyages de Du Plan Carpin en 1245-1246, ceux de G.
Rubruquis en 1253 et de Marco Polo en 1272-1275.
Deux de ces voyageurs suivirent à peu près le même itinéraire: le
premier, de Lyon à Caracorum, au sud du lac Baïkal; le deuxième, de
Crimée à la même résidence du grand Kan; le troisième, de
Saint-Jean-d'Acre à Kanbalou (Pé-king), en passant par la Perse et le
nord du Thibet.
Le développement de la navigation d'une part, et certainement une
modification climatérique des contrées centrales de l'Asie, firent
abandonner les voies de terre suivies depuis l'antiquité jusqu'au XVe
siècle et qui mettaient en communication l'extrême Orient avec les
contrées situées à l'ouest du Volga. Mais, avant les voyages des grands
navigateurs de la fin du XVe siècle et du commencement du XVIe,

cette voie de terre était relativement très-fréquentée et il existait au
centre de l'Asie des civilisations qui aujourd'hui ont entièrement
disparu.
Des déserts de sable mouvant ont pu ensevelir des cités, des forêts,
combler des lits de rivières et changer des contrées habitées et fertiles
en steppes à peine parcourues par des nomades.
Cet envahissement des flots sablonneux de l'est à l'ouest semble chaque
jour s'étendre sur des contrées qui, de mémoire historique, étaient
encore habitables.
Déjà du temps de Du Plan Carpin, qui, ayant traversé le Tanaïs et le
Volga, passa au nord de la mer Caspienne, suivit les limites
septentrionales des régions centrales de l'Asie et se dirigea vers le pays
des Mongols où Gaïouk, fils d'Octaq et petit-fils de Gengis-Kan, venait
d'être proclamé souverain, il n'existait plus une ville debout sur tout le
trajet.
Les Tatars avaient détruit ce que le temps et les sables avaient respecté.
Ce voyageur et Rubruquis ne rencontrèrent que des campements et des
ruines. Mais ces restes indiquaient l'établissement de civilisations
disparues, étouffées sous la terrible invasion tatare qui s'étendait
jusqu'aux confins de l'Europe, suivie de l'invasion non moins terrible
des sables due à l'abandon de la culture et des irrigations.
La Russie avait donc pu recevoir, bien avant le XIIIe siècle, des
éléments d'art de l'extrême Orient par une voie qui est encore à peu près
fermée de nos jours.
Il ne faut pas oublier, d'ailleurs, que les grandes migrations Aryennes,
qui s'étaient, à l'origine, portées au sud dans l'Hindoustan, tendirent de
plus en plus à incliner vers l'ouest, lorsque les contrées méridionales
furent successivement occupées par elles.
Après l'Inde, la Perse, puis la Médie, l'Asie
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