Largent des autres | Page 8

Emile Gaboriau
interrogea le commissaire, qui avez us�� ce chale magnifique?...
La pauvre femme ��tait confondue:
--Madame de Thaller d��pense beaucoup, balbutia-t-elle. Souvent mon mari a ��t�� charg�� pour elle d'emplettes importantes.
--Souvent, en effet, interrompit le commissaire de police, car voici bien d'autres factures acquitt��es: des boucles d'oreilles, seize mille francs; un bracelet, trois mille francs; un meuble de salon, un cheval, deux robes de velours... Si ce n'est pas les dix millions, c'en est toujours une partie.

IV
Avait-il eu d'avance des renseignements, ce commissaire de police, o�� n'��tait-il guid�� que par le flair particulier des hommes de sa profession, et l'habitude de tout soup?onner, m��me ce qui est invraisemblable?
Toujours est-il qu'il s'exprimait d'un ton de certitude absolue.
Les agents qui l'avaient accompagn�� et qui l'aidaient dans ses recherches, ��changeaient des clignements d'yeux et ricanaient stupidement. La situation leur semblait plaisante.
Les autres, M. Desclavettes et M. Chapelain, et le digne M. Desormeaux lui-m��me, auraient vainement cherch�� des termes pour traduire l'immensit�� de leur ��tonnement. Vincent Favoral, leur ancien ami, payant des cachemires, des diamants et des mobiliers de salon! Cela ne pouvait leur entrer dans l'esprit. A qui destinait-il ces pr��sents princiers? A une ma?tresse, �� quelqu'une de ces redoutables cr��atures, qu'on se repr��sente tapies dans les profondeurs de l'amour comme les monstres au fond de leur caverne...
Mais comment imaginer le m��thodique caissier du _Comptoir de cr��dit mutuel_ emport�� par une de ces passions insens��es qui ne raisonnent plus? Perdu par le jeu, bien! Mais par une femme!...
Comment se le figurer, lui, si platement bourgeois, ici, rue Saint-Gilles, �� la t��te d'un autre m��nage, et menant ailleurs, dans un des quartiers brillants de Paris, une de ces existences ��chevel��es qui ��pouvantent les familles?...
Comprenait-on le m��me homme ��conome jusqu'�� l'avarice et prodigue jusqu'�� la folie, temp��tant lorsque sa femme d��pensait quelques centimes et volant pour subvenir au luxe d'une fille, et collectionnant enfin dans le m��me tiroir les factures du bijoutier et les bulletins de la boucherie!...
--C'est le comble de l'absurde!... murmurait l'excellent M. Desormeaux.
Maxence, lui, fr��missait de col��re.
Affaiss��e sur une chaise, pr��s du bureau, Mlle Gilberte pleurait.
Il n'y avait que Mme Favoral, si craintive d'ordinaire, qui osat d��fendre quand m��me, et de toute son ��nergie, l'homme dont elle portait le nom. Qu'il e?t d��tourn�� des millions, elle l'admettait. Qu'il l'e?t tromp��e et trahie si indignement, qu'il l'e?t si mis��rablement prise pour dupe pendant des ann��es, cela lui semblait insens��, monstrueux, impossible.
Et, pourpre de honte:
--Vos soup?ons s'��vanouiraient, Monsieur, disait-elle au commissaire, si vous me permettiez de vous retracer notre existence.
Mis en go?t par sa premi��re trouvaille, il poursuivait plus minutieusement ses perquisitions, d��nouant les liens de toutes les liasses.
--Inutile, madame, r��pondit-il, de ce ton bref qui impressionnait si fort M. Desclavettes. Vous ne pouvez me dire que ce que vous savez, et vous ne savez rien.
--Jamais homme, monsieur, n'eut une vie plus invariablement r��gl��e que M. Favoral.
--En apparence, vous avez raison. R��gler son d��sordre, d'ailleurs, est une des particularit��s de notre temps. On ouvre des cr��dits �� ses passions, et on tient en partie double le compte de ses infamies. C'est m��thodiquement qu'on op��re. On d��tourne des millions pour suspendre des diamants aux oreilles d'une demoiselle, mais on est un homme soigneux, on conserve les factures acquitt��es...
--Eh! Monsieur, je vous ai d��j�� dit que je ne perdais pas mon mari de vue...
--Naturellement.
--Chaque matin, �� neuf heures pr��cises, il sortait d'ici pour se rendre chez M. de Thaller.
--Tout le quartier le sait, madame.
--A cinq heures et demie il rentrait.
--C'est encore bien connu.
--Le soir, apr��s son d?ner, il allait faire une partie, mais c'��tait son unique distraction, et toujours �� onze heures il ��tait couch��.
--Parfaitement exact.
--Eh bien! alors, monsieur, o�� donc M. Favoral e?t-il pris le temps de s'abandonner aux d��sordres dont vous l'accusez?
Imperceptiblement le commissaire de police haussait les ��paules.
--Loin de moi, madame, pronon?a-t-il, la pens��e de suspecter votre bonne foi. Qu'importe d'ailleurs que votre mari ait d��pens�� �� ceci ou �� cela, les sommes qu'on l'accuse d'avoir d��tourn��es! Mais que prouvent vos objections? Simplement que M. Favoral ��tait tr��s-habile et tr��s ma?tre de soi. Avait-il d��jeun��, quand il vous quittait �� neuf heures? Non. O�� donc, je vous prie, d��jeunait-il? Au restaurant? Auquel? Pourquoi ne rentrait-il qu'�� cinq heures et demie, puisque son travail ne le retenait �� son bureau que jusqu'�� trois heures? Est-ce bien au caf�� Turc qu'il allait tous les soirs? Enfin pourquoi ne me parlez-vous pas des travaux extraordinaires qui lui survenaient, �� ce qu'il pr��tendait, une ou deux fois par mois? Tant?t c'��tait un emprunt, tant?t une liquidation ou une r��partition de dividendes, dont il ��tait charg��. Rentrait-il alors? Non. Il vous disait qu'il d?nerait dehors, et qu'il lui serait plus commode de se faire dresser un lit dans son bureau, et vous ��tiez vingt-quatre ou quarante-huit heures sans le voir. Assur��ment cette double existence devait lui peser lourdement; mais il lui
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