Largent des autres | Page 5

Emile Gaboriau
lutte et qui s'abandonne:
--Soit, dit-il, qu'on m'arr��te, et que tout finisse une bonne fois. C'est assez d'angoisses comme cela, assez d'alternatives insoutenables. Je suis las de toujours feindre, de toujours ruser, tromper et mentir. Qu'on m'arr��te! Il n'est pas de malheur qui ne soit moindre, en r��alit��, que l'horreur de l'incertitude. Maintenant, je n'ai plus rien �� redouter. Pour la premi��re fois depuis des ann��es, je dormirai cette nuit!...
Il ne remarquait pas la sinistre impression de ses h?tes.
--Vous pensez que je suis un voleur, ajouta-il, eh bien! soyez satisfaits. Justice va ��tre faite!...
Mais il leur pr��tait l�� des sentiments qui n'��taient plus les leurs. Ils oubliaient leur col��re si terrible et l'amer ressentiment de leur argent perdu.
L'imminence du p��ril, tout �� coup, r��veillait en leur ame les souvenirs du pass�� et cette forte affection qui na?t d'une longue habitude et d'un constant ��change de services rendus. Quoi qu'e?t fait M. Favoral, ils ne voyaient plus en lui que l'ami, l'h?te dont cent fois ils avaient rompu le pain ensemble, l'homme dont la probit��, jusqu'�� cette soir��e fatale, ��tait rest��e bien au-dessus du soup?on.
Pales, boulevers��s, ils l'entouraient.
--Devenez-vous fou! lui disait M. Desormeaux. Voulez-vous donc attendre qu'on vous arr��te, qu'on vous jette en prison, qu'on vous tra?ne sur les bancs de la police correctionnelle ou de la cour d'assises!...
Il secouait la t��te, et d'un ton d'obstination idiote:
--Ne vous ai-je pas dit, r��p��tait-il, que tout est contre moi! Qu'on vienne, qu'on fasse de moi ce qu'on voudra.
--Et votre femme, malheureux, insistait M. Chapelain, l'ancien avou��, et vos enfants!...
--Seront-ils moins d��shonor��s si je suis condamn�� par contumace?
��perdue de douleur, Mme Favoral se tordait les mains.
--Vincent, murmurait-elle, au nom du ciel, ��pargne-nous cette torture affreuse de te savoir en prison...
Opiniatrement il gardait le silence. Sa fille, Mlle Gilberte se laissa glisser �� ses genoux, et les mains jointes:
--Je t'en conjure, p��re! supplia-t-elle.
Il tressaillit de tout son corps. Une indicible expression de souffrance et d'angoisse contracta ses traits, et d'une voix �� peine intelligible:
--Ah! c'est prolonger cruellement mon agonie, balbutia-t-il. Que voulez-vous de moi?
--Il faut fuir! d��clara M. Desclavettes.
--Par o��? Comment? Croyez-vous donc que toutes les pr��cautions ne sont pas d��j�� prises, que toutes les issues ne sont pas gard��es!
D'un geste brusque, Maxence lui coupa la parole.
--La chambre de ma soeur, mon p��re, dit-il, donne sur la cour de la maison voisine...
--Oui, mais nous sommes au second ��tage...
--N'importe! J'ai un moyen.
Et s'adressant �� sa soeur:
--Viens, Gilberte, poursuivit le jeune homme, viens, tu vas m'��clairer et me donner des draps... Ils sortirent pr��cipitamment. Mme Favoral entrevit une lueur d'espoir.
--Nous sommes sauv��s, s'��cria-t-elle.
--Sauv��s, r��p��ta machinalement le caissier.
--Oui, car je devine le projet de Maxence... Mais il faut nous entendre... O�� vas-tu te r��fugier?
--Eh! le sais-je!...
--Il y a un train �� onze heures cinq, fit M. Desormeaux, ne l'oublions pas...
--Mais il faut de l'argent pour prendre ce train, interrompit l'ancien avou��; j'en ai sur moi, heureusement...
Et oubliant ses cent soixante mille francs perdus, il tirait son portefeuille. Mme Favoral l'arr��ta.
--Nous avons plus qu'il ne faut, dit-elle.
Et elle prenait sur la table et elle tendait �� son mari les billets qu'avait jet��s, avant de sortir, le directeur du _Comptoir de cr��dit mutuel_.
Il les repoussa avec un mouvement de rage.
--Plut?t crever de faim! s'��cria-t-il. C'est lui, c'est ce mis��rable...
Mais il s'interrompit, et plus doucement:
--Cache ces billets, dit-il �� sa femme, et que demain Maxence aille les reporter �� M. de Thaller...
On sonna violemment.
--La police! g��mit Mme Desclavettes qui semblait pr��s de s'��vanouir.
--Je vais parlementer, dit vivement M. Desormeaux. Fuyez, Vincent, ne perdez pas une minute...
Et il courut �� la porte d'entr��e, pendant que Mme Favoral entra?nait son mari vers la chambre de Mlle Gilberte.
Rapidement et solidement, Maxence avait li�� bout �� bout quatre draps, qui donnaient une longueur plus que suffisante. Il ouvrit alors la fen��tre, et, en examinant la cour de la maison voisine:
--Personne, dit-il. Tout le monde d?ne. Nous r��ussirons.
M. Favoral chancelait comme un homme ivre. Une affreuse ��motion d��composait ses traits. Arr��tant un long regard sur sa femme et sur ses enfants:
--Mon Dieu! murmura-t-il, qu'allez-vous devenir!...
--Ne craignez rien, mon p��re, pronon?a Maxence. Je suis l��. Ni ma m��re ni ma soeur ne manqueront de rien...
--Mon fils!... reprit le caissier, mes enfants!...
Et d'une voix ��touff��e:
--Je ne suis digne ni de votre amour ni de votre d��vouement... Malheureux que je suis!... Je vous ai fait une existence d��sol��e, une jeunesse sans plaisirs. Je vous ai impos�� toutes les ��preuves de la pauvret��, tandis que moi!... Et maintenant, je vous laisse la ruine et un nom d��shonor��...
--Hatez-vous, mon p��re, interrompit Mlle Gilberte.
Il semblait ne pouvoir se d��cider.
--C'est cependant horrible, poursuivait-il, que de vous abandonner ainsi. Quelle s��paration! Ah! la mort serait plus douce. Quel souvenir garderez-vous de moi? Certes, je suis bien coupable, mais non comme vous le pensez. J'ai ��t�� trahi. Je vais payer pour tous. Si du moins vous
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