pleine d'agents de
police... Ils parlent au concierge, ils vont monter, je les entends.
II
Selon le moment et l'endroit où ils sont prononcés, il est de ces mots
qui acquièrent une effrayante signification. Dans cette salle en désordre,
au milieu de ces gens effarés, ce mot de police retentit comme un coup
de tonnerre.
--N'ouvrez pas, commanda Maxence à la domestique, n'ouvrez pas,
quoiqu'on sonne ou qu'on frappe. Laissez enfoncer la porte plutôt!...
L'excès même de l'épouvante rendait à Mme Favoral une portion de son
énergie. Se jetant au-devant de son mari, comme pour le protéger,
comme pour le défendre:
--On vient t'arrêter, Vincent, s'écria-t-elle. On vient; n'entends-tu pas?...
Il demeurait à la même place, les talons cloués au sol.
--Cela devait être, fit-il.
Et de l'accent du misérable qui voit tout espoir anéanti, qui renonce à la
lutte et qui s'abandonne:
--Soit, dit-il, qu'on m'arrête, et que tout finisse une bonne fois. C'est
assez d'angoisses comme cela, assez d'alternatives insoutenables. Je
suis las de toujours feindre, de toujours ruser, tromper et mentir. Qu'on
m'arrête! Il n'est pas de malheur qui ne soit moindre, en réalité, que
l'horreur de l'incertitude. Maintenant, je n'ai plus rien à redouter. Pour
la première fois depuis des années, je dormirai cette nuit!...
Il ne remarquait pas la sinistre impression de ses hôtes.
--Vous pensez que je suis un voleur, ajouta-il, eh bien! soyez satisfaits.
Justice va être faite!...
Mais il leur prêtait là des sentiments qui n'étaient plus les leurs. Ils
oubliaient leur colère si terrible et l'amer ressentiment de leur argent
perdu.
L'imminence du péril, tout à coup, réveillait en leur âme les souvenirs
du passé et cette forte affection qui naît d'une longue habitude et d'un
constant échange de services rendus. Quoi qu'eût fait M. Favoral, ils ne
voyaient plus en lui que l'ami, l'hôte dont cent fois ils avaient rompu le
pain ensemble, l'homme dont la probité, jusqu'à cette soirée fatale, était
restée bien au-dessus du soupçon.
Pâles, bouleversés, ils l'entouraient.
--Devenez-vous fou! lui disait M. Desormeaux. Voulez-vous donc
attendre qu'on vous arrête, qu'on vous jette en prison, qu'on vous traîne
sur les bancs de la police correctionnelle ou de la cour d'assises!...
Il secouait la tête, et d'un ton d'obstination idiote:
--Ne vous ai-je pas dit, répétait-il, que tout est contre moi! Qu'on
vienne, qu'on fasse de moi ce qu'on voudra.
--Et votre femme, malheureux, insistait M. Chapelain, l'ancien avoué,
et vos enfants!...
--Seront-ils moins déshonorés si je suis condamné par contumace?
Éperdue de douleur, Mme Favoral se tordait les mains.
--Vincent, murmurait-elle, au nom du ciel, épargne-nous cette torture
affreuse de te savoir en prison...
Opiniâtrement il gardait le silence. Sa fille, Mlle Gilberte se laissa
glisser à ses genoux, et les mains jointes:
--Je t'en conjure, père! supplia-t-elle.
Il tressaillit de tout son corps. Une indicible expression de souffrance et
d'angoisse contracta ses traits, et d'une voix à peine intelligible:
--Ah! c'est prolonger cruellement mon agonie, balbutia-t-il. Que
voulez-vous de moi?
--Il faut fuir! déclara M. Desclavettes.
--Par où? Comment? Croyez-vous donc que toutes les précautions ne
sont pas déjà prises, que toutes les issues ne sont pas gardées!
D'un geste brusque, Maxence lui coupa la parole.
--La chambre de ma soeur, mon père, dit-il, donne sur la cour de la
maison voisine...
--Oui, mais nous sommes au second étage...
--N'importe! J'ai un moyen.
Et s'adressant à sa soeur:
--Viens, Gilberte, poursuivit le jeune homme, viens, tu vas m'éclairer et
me donner des draps... Ils sortirent précipitamment. Mme Favoral
entrevit une lueur d'espoir.
--Nous sommes sauvés, s'écria-t-elle.
--Sauvés, répéta machinalement le caissier.
--Oui, car je devine le projet de Maxence... Mais il faut nous entendre...
Où vas-tu te réfugier?
--Eh! le sais-je!...
--Il y a un train à onze heures cinq, fit M. Desormeaux, ne l'oublions
pas...
--Mais il faut de l'argent pour prendre ce train, interrompit l'ancien
avoué; j'en ai sur moi, heureusement...
Et oubliant ses cent soixante mille francs perdus, il tirait son
portefeuille. Mme Favoral l'arrêta.
--Nous avons plus qu'il ne faut, dit-elle.
Et elle prenait sur la table et elle tendait à son mari les billets qu'avait
jetés, avant de sortir, le directeur du _Comptoir de crédit mutuel_.
Il les repoussa avec un mouvement de rage.
--Plutôt crever de faim! s'écria-t-il. C'est lui, c'est ce misérable...
Mais il s'interrompit, et plus doucement:
--Cache ces billets, dit-il à sa femme, et que demain Maxence aille les
reporter à M. de Thaller...
On sonna violemment.
--La police! gémit Mme Desclavettes qui semblait près de s'évanouir.
--Je vais parlementer, dit vivement M. Desormeaux. Fuyez, Vincent, ne
perdez pas une minute...
Et il courut à la porte d'entrée, pendant que Mme Favoral entraînait son
mari vers la chambre de Mlle Gilberte.
Rapidement et solidement, Maxence avait lié bout à bout quatre draps,
qui donnaient une longueur plus que suffisante. Il
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.