Lami Fritz | Page 8

Erckmann-Chatrian
��tait revenue du march��, tout ��tait en train, cela lui fit plaisir.
Il monta donc, et, s'arr��tant dans l'all��e, sur le seuil de la cuisine flamboyante, il s'��cria:
?Voici les bouteilles! �� cette heure, Katel, j'esp��re que tu vas te d��passer, que tu nous feras un d?ner... mais un d?ner....
--Soyez donc tranquille, monsieur, r��pondit la vieille cuisini��re, qui n'aimait pas les recommandations, est-ce que vous avez jamais ��t�� m��content de moi depuis vingt ans?
--Non, Katel, non, au contraire; mais tu sais, on peut faire bien, tr��s bien, et tout �� fait bien.
--Je ferai ce que je pourrai, dit la vieille, on ne peut pas en demander davantage.?
Kobus voyant alors sur la table deux gelinottes, un superbe brochet arrondi dans le cuveau, de petites truites pour la friture, un superbe pat�� de foie gras, pensa que tout irait bien.
?C'est bon, c'est bon, fit-il en s'en allant, cela marchera, ah! ah! ah! nous allons rire.?
Au lieu d'entrer dans la salle �� manger ordinaire, il prit la petite all��e �� droite, et devant une haute porte il d��posa son panier, mit une clef dans la serrure et ouvrit: c'��tait la chambre de gala des Kobus; on ne d?nait l�� que dans les grandes circonstances. Les persiennes des trois hautes fen��tres au fond ��taient ferm��es; le jour grisatre laissait voir dans l'ombre de vieux meubles, des fauteuils jaunes, une chemin��e de marbre blanc, et, le long des murs, de grands cadres couverts de percale blanche.
Fritz ouvrit d'abord les fen��tres et poussa les persiennes pour donner de l'air.
Cette salle, bois��e de vieux ch��ne, avait quelque chose de solennel et de digne; on comprenait au premier coup d'oeil, qu'on devait bien manger l��-dedans de p��re en fils.
Fritz retira les voiles des portraits: c'��taient les portraits de Nicolas Kobus, conseiller �� la cour de l'��lecteur Fr��d��ric-Wilhelm, en l'an de grace 1715. M. le conseiller portait l'immense perruque Louis XIV, l'habit marron �� larges manches relev��es jusqu'aux coudes, et le jabot de fines dentelles; sa figure ��tait large, carr��e et digne. Un autre portrait repr��sentait Frantz-S��pel Kobus, enseigne dans le r��giment de dragons de Leiningen, avec l'uniforme bleu-de-ciel �� brandebourgs d'argent, l'��charpe blanche au bras gauche, les cheveux poudr��s et le tricorne pench�� sur l'oreille; il avait alors vingt ans au plus, et paraissait frais comme un bouton d'��glantine. Un troisi��me portrait repr��sentait Zacharias Kobus, le juge de paix, en habit noir carr��; il tenait �� la main sa tabati��re et portait la perruque �� queue de rat.
Ces trois portraits, de m��me grandeur, ��taient de larges et solides peintures; on voyait que les Kobus avaient toujours eu de quoi payer grassement les artistes charg��s de transmettre leur effigie �� la post��rit��. Fritz avait avec chacun d'eux un grand air de ressemblance, c'est-��-dire les yeux bleus, le nez ��pat��, le menton rond frapp�� d'une fossette, la bouche bien fendue et l'air content de vivre.
Enfin, �� droite, contre le mur, en face de la chemin��e, ��tait le portrait d'une femme, la grand-m��re de Kobus, fra?che, riante, la bouche entrouverte pour laisser voir les plus belles dents blanches qu'il soit possible de se figurer, les cheveux relev��s en forme de navire, et la robe de velours bleu-de-ciel bord��e de rose.
D'apr��s cette peinture, le grand-p��re Frantz-S��pel avait d? faire bien des envieux, et l'on s'��tonnait que son petit-fils e?t si peu de go?t pour le mariage.
Tous ces portraits, entour��s de cadres �� grosses moulures dor��es, produisaient un bel effet sur le fond brun de la haute salle.
Au-dessus de la porte, on voyait une sorte de moulure repr��sentant l'Amour emport�� sur un char par trois colombes. Enfin tous les meubles, les hautes portes d'armoires, la vieille chiffonni��re en bois de rose, le buffet �� larges panneaux sculpt��s, la table ovale �� jambes torses, et jusqu'au parquet de ch��ne, palm�� alternativement jaune et noir, tout annon?ait la bonne figure que les Kobus faisaient �� Hunebourg depuis cent cinquante ans.
Fritz, apr��s avoir ouvert les persiennes, poussa la table �� roulettes au milieu de la salle, puis il ouvrit deux armoires, de ces hautes armoires �� doubles battants, pratiqu��es dans les boiseries, et descendant du plafond jusque sur le parquet. Dans l'une ��tait le linge de table, aussi beau qu'il soit possible de le d��sirer, sur une infinit�� de rayons; dans l'autre, la vaisselle, de cette magnifique porcelaine de vieux Saxe, fleuronn��e, moul��e et dor��e: les piles d'assiettes en bas, les services de toute sorte, les soupi��res rebondies, les tasses, les sucriers au-dessus; puis l'argenterie ordinaire dans une corbeille.
Kobus choisit une belle nappe damass��e, et l'��tendit sur la table soigneusement, passant une main dessus pour en effacer les plis, et faisant aux coins de gros noeuds, pour les emp��cher de balayer le plancher. Il fit cela lentement, gravement, avec amour. Apr��s quoi il prit une pile d'assiettes plates et la posa sur la chemin��e, puis une autre d'assiettes
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