Lami Fritz | Page 9

Erckmann-Chatrian
creuses. Il fit de m��me d'un plateau de verres de cristal, taill��s �� gros diamants, de ces verres lourds o�� le vin rouge a les reflets sombres du rubis, et le vin jaune ceux de la topaze.
Enfin il d��posa les couverts sur la table, r��guli��rement, l'un en face de l'autre; il plia les serviettes dessus avec soin, en bateau et en bonnet d'��v��que, se pla?ant tant?t �� droite, tant?t �� gauche, pour juger de la sym��trie.
En se livrant �� cette occupation, sa bonne grosse figure avait un air de recueillement inexprimable, ses l��vres se serraient, ses sourcils se fron?aient:
?C'est cela, se disait-il �� voix basse, le grand Fr��d��ric Schoultz du c?t�� des fen��tres, le dos �� la lumi��re, le percepteur Christian Haan en face de lui, I?sef de ce c?t��, et moi de celui-ci: ce sera bien... c'est bien comme cela; quand la porte s'ouvrira, je verrai tout d'avance, je saurai ce qu'on va servir, je pourrai faire signe �� Katel d'approcher ou d'attendre; c'est tr��s bien. Maintenant les verres: �� droite, celui du bordeaux pour commencer; au milieu, celui du rudesheim, et ensuite celui du johannisberg des capucins. Toute chose doit venir en ordre et selon son temps; l'huilier sur la chemin��e, le sel et le poivre sur la table, rien ne manque plus, et j'ose me flatter.... Ah! le vin! comme il fait d��j�� chaud, nous le mettrons rafra?chir dans un baquet sous la pompe, except�� le bordeaux qui doit se boire ti��de; je vais pr��venir Katel.--Et maintenant �� mon tour, il faut que je me rase, que je me change, que je mette ma belle redingote marron.--?a va, Kobus, ah! ah! ah! quelle f��te du printemps.... Et dehors donc, il fait un soleil superbe!--H��! le grand Fr��d��ric se prom��ne d��j�� sur la place; il n'y a plus une minute �� perdre!?
Fritz sortit; en passant devant la cuisine, il avertit Katel de faire chauffer le bordeaux et rafra?chir les autres vins; il ��tait radieux et entra dans sa chambre en chantant tout bas: ?Tra, ri, ro, l'��t�� vient encore une fois... yo?! yo?!?
La bonne odeur de la soupe aux ��crevisses remplissait toute la maison, et la grande Frentzel, la cuisini��re du Boeuf-Rouge, avertie d'avance, entrait alors pour veiller au service, car la vieille Katel ne pouvait ��tre �� la fois dans la cuisine et dans la salle �� manger.
La demie sonnait alors �� l'��glise Saint-Landolphe, et les convives ne pouvaient tarder �� para?tre.

IV
Est-il rien de plus agr��able en ce bas monde que de s'asseoir, avec trois ou quatre vieux camarades, devant une table bien servie, dans l'antique salle �� manger de ses p��res; et l��, de s'attacher gravement la serviette au menton, de plonger la cuiller dans une bonne soupe aux queues d'��crevisses, qui embaume, et de passer les assiettes en disant: ?Go?tez-moi cela, mes amis, vous m'en donnerez des nouvelles.?
Qu'on est heureux de commencer un pareil d?ner, les fen��tres ouvertes sur le ciel bleu du printemps ou de l'automne.
Et quand vous prenez le grand couteau �� manche de corne pour d��couper des tranches de gigot fondantes, ou la truelle d'argent pour diviser tout du long avec d��licatesse un magnifique brochet �� la gel��e, la gueule pleine de persil, avec quel air de recueillement les autres vous regardent!
Puis quand vous saisissez derri��re votre chaise, dans la cuvette, une autre bouteille, et que vous la placez entre vos genoux pour en tirer le bouchon sans secousse, comme ils rient en pensant: ?Qu'est-ce qui va venir �� cette heure??
Ah! je vous le dis, c'est un grand plaisir de traiter ses vieux amis, et de penser: ?Cela recommencera de la sorte d'ann��e en ann��e, jusqu'�� ce que le Seigneur Dieu nous fasse signe de venir, et que nous dormions en paix dans le sein d'Abraham.?
Et quand, �� la cinqui��me ou sixi��me bouteille, les figures s'animent, quand les uns ��prouvent tout �� coup le besoin de louer le Seigneur, qui nous comble de ses b��n��dictions, et les autres de c��l��brer la gloire de la vieille Allemagne, ses jambons, ses pat��s et ses nobles vins; quand Kasper s'attendrit et demande pardon �� Michel de lui avoir gard�� rancune, sans que Michel s'en soit jamais dout��; et que Christian, la t��te pench��e sur l'��paule, rit tout bas en songeant au p��re Bischoff, mort depuis dix ans, et qu'il avait oubli��; quand d'autres parlent de chasse, d'autres de musique, tous ensemble, en s'arr��tant de temps en temps pour ��clater de rire: c'est alors que la chose devient tout �� fait r��jouissante, et que le paradis, le vrai paradis, est sur la terre.
Eh bien! tel ��tait pr��cis��ment l'��tat des choses chez Fritz Kobus, vers une heure de l'apr��s-midi: le vieux vin avait produit son effet.
Le grand Fr��d��ric Schoultz, ancien secr��taire du p��re Kobus, et ancien sergent de la landwehr, en 1814, avec sa grande redingote bleue,
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