Lami Fritz | Page 7

Erckmann-Chatrian
bien grande, ayant au plus vingt pieds de profondeur sur quinze de large; mais elle ��tait haute, partag��e en deux par un lattis solide, et ferm��e d'une porte ��galement en lattis. Tout le long s'��tendaient des rayons, et sur ces rayons ��taient couch��es des bouteilles dans un ordre admirable. Il y en avait de toutes les ann��es, depuis 1780 jusqu'en 1840. La lumi��re des trois soupiraux, se brisant dans le lattis, faisait ��tinceler le fond des bouteilles d'une fa?on agr��able et pittoresque.
Kobus entra.
Il avait apport�� un panier d'osier �� compartiments carr��s, une bouteille tenant dans chaque case; il posa ce panier �� terre, et, la chandelle haute, il se mit �� passer le long des rayons. La vue de tous ces bons vins, les uns au cachet bleu, les autres �� la capsule de plomb, l'attendrit, et au bout d'un instant il s'��cria:
?Si les pauvres vieux qui, depuis cinquante ans, ont, avec tant de sagesse et de pr��voyance, mis de c?t�� ces bons vins, s'ils revenaient, je suis s?r qu'ils seraient contents de me voir suivre leur exemple, et qu'ils me trouveraient digne de leur avoir succ��d�� dans ce bas monde. Oui, tous seraient contents! car ces trois rayons-l�� c'est moi-m��me qui les ai remplis, et, j'ose dire, avec discernement: j'ai toujours eu soin de me transporter moi-m��me dans la vigne et de traiter avec les vignerons en face de la cuv��e. Et, pour les soins de la cave, je ne me suis pas ��pargn�� non plus. Aussi, ces vins-l��, s'ils sont plus jeunes que les autres, ne sont pas d'une qualit�� inf��rieure; ils vieilliront et remplaceront dignement les anciens. C'est ainsi que se maintiennent les bonnes traditions, et qu'il y a toujours, non seulement du bon, mais du meilleur dans les m��mes familles.
?Oui, si le vieux Nicolas Kobus, le grand-p��re Frantz-S��pel, et mon propre p��re Zacharias, pouvaient revenir et go?ter ces vins, ils seraient satisfaits de leur petit-fils; ils reconna?traient en lui la m��me sagesse et les m��mes vertus qu'en eux-m��mes. Malheureusement ils ne peuvent pas revenir, c'est fini! Il faut que je les remplace en tout et pour tout. C'est triste tout de m��me! des gens si prudents, de si bons vivants, penser qu'ils ne peuvent seulement plus go?ter un verre de leur vin, et se r��jouir en louant le Seigneur de ses graces! Enfin, c'est comme cela; le m��me accident nous arrivera t?t ou tard, et voil�� pourquoi nous devons profiter des bonnes choses pendant que nous y sommes!?
Apr��s ces r��flexions m��lancoliques, Kobus choisit les vins qu'il voulait boire en ce jour, et cela le remit de bonne humeur.
?Nous commencerons, se dit-il, par des vins de France, que mon digne grand-p��re Frantz-S��pel estimait plus que tous les autres. Il n'avait peut-��tre pas tout �� fait tort, car ce vieux bordeaux est bien ce qu'il y a de mieux pour se faire un bon fond d'estomac. Oui, prenons d'abord ces six bouteilles de bordeaux; ce sera un joli commencement. Et l��-dessus, trois bouteilles de rudesheim, que mon pauvre p��re aimait tant!... mettons-en quatre en souvenir de lui. Cela fait d��j�� dix. Mais pour les deux autres, celles de la fin, il faut quelque chose de choisi, du plus vieux, quelque chose qui nous fasse chanter.... Attendez, attendez, que je vous examine ?a de pr��s.?
Alors Kobus se courbant, remua doucement la paille du rayon d'en bas, et, sur les vieilles ��tiquettes, il lisait: _Markobrunner de 1780.--Affenthal de 1804.--Johannisberg des capucins_, sans date.
?Ah! ah! Johannisberg des capucins!? fit-il en se redressant et claquant de la langue.
Il leva la bouteille couverte de poussi��re et la posa dans le panier avec recueillement.
?Je connais ?a!? dit-il.
Et durant plus d'une minute, il se prit �� songer aux capucins de Hunebourg, qui s'��taient sauv��s en 1792, lors de l'arriv��e de Custine, abandonnant leurs caves, que les Fran?ais avaient mises au pillage, et dont le grand-p��re Frantz avait recueilli deux ou trois cents bouteilles. C'��tait un vin jaune d'or, tellement d��licat, qu'en le buvant il vous semblait sentir comme un parfum oriental se fondre dans votre bouche.
Kobus, se rappelant cela, fut content. Et, sans compl��ter le panier, il se dit:
?En voil�� bien assez: encore une bouteille de capucin, et nous roulerions sous la table. Il faut user, comme le r��p��tait sans cesse mon vertueux p��re, mais il ne faut pas abuser.?
Alors, pla?ant avec pr��caution le panier hors du lattis, il referma soigneusement la porte, y remit le cadenas et reprit le chemin de la premi��re cave. En passant, il compl��ta le panier avec une bouteille de vieux rhum, qui se trouvait �� part, dans une sorte d'armoire enfonc��e entre deux piliers de la vo?te basse; et enfin il remonta, s'arr��tant chaque fois pour cadenasser les portes.
En arrivant pr��s du vestibule, il entendit d��j�� le remue-m��nage des casseroles et le p��tillement du feu dans la cuisine: Katel
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