palais, cette villa!... M. Norton y a
entassé encore des raretés à profusion.... Ce serait un musée à Paris! A
Trouville, c'est une véritable curiosité.... Mais rien n'est assez luxueux
et choisi, aux yeux de M. Norton, pour sa femme qu'il adore, et qui est
bien, du reste, la créature la plus exquise que je connaisse!
Le docteur ne remarquait point l'expression de vague tristesse qui
passait rapidement sur le visage de M. de Solis. Le marquis avait eu, au
nom de Mme Norton, un tressaillement léger, une contraction passagère
qui n'eût pas évidemment échappé à Fargeas. Mais le médecin, les yeux
mi-clos, regardait en ce moment le paysage comme à travers ses cils,
pour juger de la qualité de la lumière.
M. de Solis avait d'ailleurs repris bien vite une sorte d'expression
indifférente, et il interrogeait le docteur sur Mme Norton, comme l'eût
fait un simple curieux des potinières de la plage.
Le docteur connaissait d'autant mieux l'Américaine qu'il la soignait,
Mme Norton souffrant d'une maladie qu'on croyait, à New-York,
indéterminée--une névrose, la fameuse, l'inévitable névrose
moderne--mais que le maître français devinait bien vite: le germe d'une
affection cardiaque, une angoisse ressemblant à l'angine de poitrine. Au
total, un pseudonyme de la tristesse. La mort de son père, qu'elle
adorait, avait atteint profondément la jeune femme, et, pour l'arracher à
une sorte de mélancolie constante, à un chagrin qui persistait sous le
sourire même de la mondaine, Richard Norton avait amené Mme
Norton en France.
--Alors, triste, Mme Norton? demandait M. de Solis.
--Oui. Et résignée!
--Et adorable! ajouta M. de Bernière. Des cheveux étonnants! Châtain
clair, couleur bronze, et des yeux!... Tenez, la mer a de ces reflets-là,
regardez bien!
--Seulement, dit le docteur Fargeas, cette poétique et délicieuse créature
a, dans la traversée, failli payer cher la consultation qu'on venait me
demander. Le vent, les rafales, la dépression barométrique, amenaient
chez elle comme un arrêt dans le battement du coeur, comme une pause
de la vie. Phénomènes fugitifs, du reste, et qui disparaîtront
radicalement avec du repos!
Puis, après avoir questionné, il semblait que M. de Solis cherchât à ne
plus parler de l'Américaine. Il restait là, le regard accroché à la grande
maison normande, là-bas, et il parlait d'autre chose, de ses voyages, de
cet Annam ou du Tonkin dont il revenait.
--Mme de Solis a dû être bien heureuse de vous revoir? dit le docteur.
--Ma mère!... Pauvre chère femme! Je me suis presque reproché de
l'avoir quittée tant elle a eu de joie à me retrouver! Que je vous sais gré,
mon cher docteur, de me l'avoir rendue!
--Rendue! Rendue!... Mon cher marquis, on ne rend pas les malades qui
sont confisqués par la mort. Je n'ai eu d'autre mérite que d'avoir donné
à la marquise de bons conseils, qu'elle a suivis!... Elle a plus fait pour
sa guérison que moi! Quand je vous dis que je doute un peu de la
médecine, je ne doute pas de la suggestion qu'imposent les médecins à
leurs malades et qui, par l'imagination, suffit très souvent à les guérir.
J'ai fait des cures étonnantes en ordonnant, avec de graves froncements
de sourcils, des pilules de mica panis. Mica panis! Les malades
avalaient cela avec des frissons d'inquiétude et d'espérance. Puis ils se
sentaient soulagés. Mica panis! Traduction: boulettes de mie de pain!
Ah! le cerveau humain, l'imagination, la chimère!
Et la conversation s'égarait maintenant sur les généralités, la médecine,
les nouvelles du matin, l'article de la Vie Parisienne consacré aux
épaules et aux costumes de bains de miss Arabella Dickson. C'était M.
de Bernière qui parlait et M. de Solis n'écoutait plus. Toute sa pensée
était comme emportée vers cette villa qui se dressait, au bout de la
plage ensoleillée, dans la lumière, avec ses toits rouges.... Et, tout à
coup, presque brusquement, il laissait son cousin et le docteur en tête à
tête, leur serrant la main, prétextant une lettre oubliée, une dépêche à
jeter au télégraphe, et il s'éloignait, disparaissant par la rue....
Le docteur, regardant sa montre, n'allait point tarder à en faire autant, et
Bernière se trouvait seul, dans son tonneau, fumant un cigare, qu'en sa
qualité de pessimiste il exigeait délicieux, comme toutes choses, car il
citait Schopenhauër et pratiquait Epicure.
Fin observateur, du reste, l'espèce de trouble de M. de Solis ne lui avait
pas tout à fait échappé, et il se demandait pourquoi le marquis lui
faussait si vivement compagnie. Solis ne lui avait point parlé de cette
lettre. Ils devaient monter à cheval ensemble, tout à l'heure. Comment
le marquis l'oubliait-il?
Alors, l'insistance de Solis à s'informer de la santé de Mme Norton,
l'évident intérêt que prenait le marquis à ce que le docteur lui disait de
l'Américaine, donnaient à Bernière de fugitives idées de roman ébauché,
d'une intrigue possible.
--Tiens, tiens,
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.