baiser que j'osais à peine
vous donner, chers endormis, fût le dernier. Quittant la chambre où
vous reposiez, je suis allé m'armer, endosser ma cuirasse par-dessus ma
saie, prendre mon casque et mon épée; puis je suis sorti de notre
maison. Au seuil de notre porte j'ai rencontré Sampso, la soeur de ma
femme, et, comme elle, aussi douce que belle; son tablier était rempli
de fleurs humides de rosée, elle venait de les cueillir dans notre petit
jardin. À ma vue, elle sourit et rougit de surprise.
-- Déjà levée, Sampso? lui dis-je. Je croyais, moi, être sur pied le
premier... Mais pourquoi ces fleurs?
-- N'y a-t-il pas aujourd'hui une année que je suis venue habiter avec
ma soeur Ellèn et avec vous... oublieux Scanvoch? me répondit-elle
avec un sourire affectueux. Je veux fêter ce jour, selon notre vieille
mode gauloise; j'ai été chercher ces fleurs pour orner la porte de la
maison, le berceau de votre cher petit Aëlguen et la coiffure de sa
mère... Mais vous-même, où allez-vous si matin armé en guerre?
À la pensée de cette journée de fête, qui pouvait devenir une journée de
deuil pour ma famille, j'ai étouffé un soupir et répondu à la soeur de ma
femme en souriant aussi, afin de ne lui donner aucun soupçon:
-- Victoria et son fils m'ont hier soir chargé de quelques ordres
militaires à porter au chef d'un détachement campé à deux lieues d'ici;
l'habitude militaire est d'être armé pour porter de pareils messages.
-- Savez-vous, Scanvoch, que vous devez faire beaucoup de jaloux?
-- Parce que ma soeur de lait emploie mon épée de soldat pendant la
guerre et ma plume pendant la trêve?
-- Vous oubliez de dire que cette soeur de lait est Victoria la Grande...
et que Victorin, son fils, a presque pour vous le respect qu'il aurait à
l'égard du frère de sa mère... Il ne se passe presque pas de jour sans que
lui ou Victoria vienne vous voir... Ce sont là des faveurs que beaucoup
envient.
-- Ai-je jamais tiré parti de cette faveur, Sampso? Ne suis-je pas resté
simple cavalier; refusant toujours d'être officier; demandant pour toute
grâce de me battre à la guerre à côté de Victorin?
-- À qui vous avez deux fois sauvé la vie, au moment où il allait périr
sous les coups de ces Franks si barbares!
-- J'ai fait mon devoir de soldat et de Gaulois... Ne dois-je pas sacrifier
ma vie à celle d'un homme si nécessaire à notre pays?
-- Scanvoch, je ne veux pas que nous nous querellions; vous savez mon
admiration pour Victoria, mais...
-- Mais je sais votre injustice à l'égard de son fils, lui dis-je en souriant,
inique et sévère Sampso.
-- Est-ce ma faute si le dérèglement des moeurs est à mes yeux
méprisable... honteux?
-- Certes, vous avez raison; cependant je ne peux m'empêcher d'avoir
un peu d'indulgence pour quelques faiblesses de Victorin. Veuf à vingt
ans, ne faut-il pas l'excuser s'il cède parfois à l'entraînement de son âge?
Tenez, chère et impitoyable Sampso, je vous ai fait lire les récits de
notre aïeule Geneviève; vous êtes douce et bonne comme Jésus de
Nazareth, imitez donc sa miséricorde envers les pécheurs. Il a pardonné
à Madeleine parce qu'elle avait beaucoup aimé; pardonnez, au nom du
même sentiment, à Victorin!
-- Rien de plus digne de pardon et de pitié que l'amour, lorsqu'il est
sincère; mais la débauche n'a rien de commun avec l'amour... C'est
comme si vous me disiez, Scanvoch, qu'il y a quelque comparaison à
faire entre ma soeur ou moi... et ces bohémiennes hongroises arrivées
depuis peu à Mayence...
-- Pour la beauté on pourrait vous les comparer, ainsi qu'à Ellèn, car on
les dit belles à ravir d'admiration... Mais là s'arrête la comparaison,
Sampso... J'ai peu de confiance dans la vertu de ces vagabondes, si
charmantes, si parées qu'elles soient, qui vont de ville en ville chanter
et danser pour divertir le public... lorsqu'elles ne font pas un pire
métier...
-- Et pourtant, je n'en doute pas, un jour ou l'autre, vous verrez Victorin,
lui un général d'armée! lui un des deux chefs de la Gaule, accompagner
à cheval de chariot où ces bohémiennes vont se promener chaque soir
sur les bords du Rhin... Et si je m'indigne de ce que le fils de Victoria a
servi d'escorte à de pareilles créatures, alors vous me répondrez sans
doute: Pardonnez à ce pécheur, de même que Jésus a pardonné à
Madeleine, la pécheresse... Allez, Scanvoch, l'homme qui se complait
dans d'indignes amours est capable de...
Mais Sampso s'interrompit.
-- Achevez, lui dis-je, achevez, je vous prie.
-- Non, dit-elle après un moment de réflexion, le temps n'est pas venu;
je ne voudrais pas hasarder une parole légère.
-- Tenez, lui dis-je en
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