raison bons Dieux me ravit sa presence!
Quel crime ay-je
commis! quelle infidelité?
L'INFANTE.
Je ne sçay mais tu vois quelle est sa cruauté;
Tu voy comme elle
change à son premier caprice,
Ne te lasse-tu point d'endurer ce
supplice?
Ah! Rodrigue tu dois tesmoigner plus de coeur,
Et
montrer qu'on doit mieux recevoir un vainqueur:
Advouë avecque
moy qu'elle est un peu trop vaine.
LE CID.
Je n'en murmure point, Madame, c'est Chimene
Toute ingrate qu'elle
est je ne la puis haïr.
L'INFANTE.
Cet excez de bonté pourroit bien te trahir
Tu te rends malheureux
pour estre trop fidele.
LE CID.
Madame, vous sçavez où mon devoir m'appelle
Souffrez que de ce
pas j'aille m'en acquitter.
L'INFANTE.
Va. Tu prends ce pretexte, afin de me quitter
Mais je seray vangee, &
pour croistre ta peine,
J'emploiray contre toy les rigueurs de
Chimene.
ACTE III.
SCENE PREMIERE.
LE CID.
[Sortant de l'appartement de Chymene.]
Ouy, Chymene: vivez en repos desormais,
Rodrigue asseurément ne
vous verra jamais,
Jamais doresnavant sa presence odieuse
N'aura
plus le mal-heur de vous estre ennuyeuse,
Vous voulez qu'il endure, il
est prest à souffrir:
Et s'il ne sçait vous plaire il sçaura bien mourir.
Quoy! Chymene bons Dieux! me traitter de la sorte?
S'armer à mon
abord d'une rigueur si forte
Mespriser mes devoirs, tenir indifferens
Les soins & les honneurs qu'aujourd'huy je luy rens:
Ah! cette
cruauté n'est pas imaginable!
Il est vray toutesfois que je suis
miserable,
Et que par le malheur de mon triste retour
Je bannis de
ces lieux la douceur & l'amour.
Ah! que ne suis-je mort au milieu des
batailles
Toute une armee en deuil eust faict mes funerailles:
Je
serois glorieux & j'aurois le bon-heur
D'avoir finy mes jours dedans
le lict d'honneur,
Chymene en cet estat m'eust trouvé plein de
charmes
Et mon sort de ses yeux auroit tiré des larmes
Au lieu que
retournant icy victorieux,
Quand chacun me cherit je luy suis odieux:
Mais tant qu'il vous plaira faites de l'inhumaine,
Je ne vous verray
plus rigoureuse Chymene,
[Il se promene en levant.]
Ouy, vivez en
repos & croyez desormais
Que mon funeste abord ne le rompra
jamais.
SCENE DEUXIESME.
CHERIFFE, LE CID.
CHERIFFE.
Que le sort m'est cruel! & que je suis confuse!
Quoy je ne veux qu'un
coeur & l'on me le refuse
Apres ce que j'ay faict on me rebutte ainsi,
Et j'adore un ingrat! mais bons Dieux le voicy
Taschons encore un
coup de fleschir son courage.
LE CID.
Ouy Chymene, je cede aux coups de cet orage,
Contre cette rigueur il
n'est point de vertu.
CHERIFFE.
Hé bien perfide, en fin à quoy te resous-tu?
LE CID.
A mourir, puis qu'apres un mespris si funeste
Le trespas seulement
est l'espoir qui me reste.
CHERIFFE.
Quoy, le traict de la mort a pour toy des appas,
Et celuy de l'amour ne
te touchera pas.
Ah! grand Cid.
LE CID.
Laissez-moy rigoureuse Chymene,
Je vay finir ma vie achevez vostre
hayne,
Ce nom ne sied pas bien avecques vos mespris.
CHERIFFE.
Je n'en usay jamais ingrat tu t'es mespris
Une autre a fait le mal dont
je porte le blame.
LE CID la regardant.
Ah! bons Dieux c'est Cheriffe, Excusez-moy Madame,
Je n'ay pas eu
dessein de me plaindre de vous.
CHERIFFE.
Ce reproche grand Cid me sembleroit bien doux,
Et plustost que tes
jours je finirois ta peine,
Si tu traitois Cheriffe aussi bien que
Chymene.
LE CID.
Chymene! ouy je l'adore; & l'ingrate est sans foy.
CHERIFFE.
Pourquoy doncq l'aymes-tu?
LE CID.
Madame, laissez-moy.
CHERIFFE.
Que je te laisse?
LE CID.
O Dieux quelle est mon infortune!
Dois-je apres une ingrate ouyr une
importune.
CHERIFFE.
Importune? cruel, si j'avois ce malheur
Qu'il falloit que je fusse en
butte à ta rigueur,
Que ne me laissois-tu faire mes funerailles
Dans
le funeste enclos de nos tristes murailles:
Tu ne souffrirois pas un
object odieux,
Et ta main m'eust esté plus douce que tes yeux,
Tu
serois plus heureux, je serois plus contente,
Et j'aurois le bon-heur de
mourir innocente,
Si parmy le debris d'un Empire abbatu
J'eusse
laissé ma vie & non pas ma vertu.
Mais barbare, il falloit qu'elle fust
estouffee,
Et que Cheriffe en fin te servist de trophee
Il falloit que
je fusse en ce funeste estat
Qui trahit ma naissance & perd tout son
esclat.
Hé! bien puisque tu veux que je sois malheureuse,
Grand
Cid fleschis un peu cette ame rigoureuse
J'estoufferay mes voeux,
puis qu'ils sont superflus
Et j'oubliray des biens que je n'espere plus,
Je voy bien desormais que mon attente est vaine,
Suy tes affections,
adore ta Chymene:
Et mesme si tu veux prefere sa rigueur
Aux
tendres sentimens qui partent de mon coeur:
Mais quoy que le destin
insolemment me brave,
Rodrigue souffre au moins que je sois ton
esclave
Pour satisfaction des maux que j'ay souffers
Je ne demande
rien que l'honneur de mes fers
Ce bon-heur que je veux n'oste rien à
ta gloire,
Paye avecque ce bien le prix de ta victoire;
A ton affection
adjoute la pitié
Que Chymene ayt l'amour, & moy ton amitié.
LE CID.
En l'estat où je suis mon ame est si confuse
Que ma mauvaise humeur
est bien digne d'excuse,
Laissez-moy doncq, Madame, & cessez vos
discours
En vain d'un malheureux
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