La vraye suitte du Cid | Page 9

Nicolas-Marc Desfontaines
on attend du secours
Vous
cognoissez combien mon malheur est extreme
Et vous voulez un bien
dont je manque moy-mesme
De tant de passions que l'on m'a veu
souffrir
Il ne me reste plus que celle de mourir,
Adieu.
SCENE TROISIEME.
CHERIFFE seule.
Va desloyal je cognois ton envie,
Cheriffe seule helas te faict haïr la
vie,
Et si tost que tes yeux ont quitté cet object
Tu quitte quant &
quant ce funeste project:
O Ciel quel est ton sort Princesse infortunee:

Quel malheur te poursuit, sous quel astre es-tu nee,
Que tes justes
desirs & tes pretentions
Succedent au rebours de tes intentions,
Cid
mais indigne, Cid qui me rens malheureuse,
Desseins precipitez,
fortune rigouruse,
Pernicieux amour, importunes fureurs
Ne finirez
vous point ma vie ou mes erreurs.
Ouy, je sens que desja ma force est
affoiblie
Et de ce triste corps mon ame se delie,
Les ombres de la
mort errent devant mes yeux:

Rodrigue viens au moins recevoir mes

Adieux.
SCENE QUATRIESME.
LE ROY, L'INFANTE, DOM DIEGUE, D. SANCHE, CHERIFFE.
[Cheriffe continüe & prend le Roy pour Rodrigue.]
Ah! grand Cid qu'apropos la pitié te rameine
Pour voir icy finir & ma
vie & ma peine,
Je vay mourir contente, & je ne me plains pas
Puis
que tes yeux au moins honnorent mon trespas.
LE ROY.
Que dit-elle bons Dieux! quelle melancolie
Tient dedans cette erreur
son ame ensevelie?
D'où luy vient ce transport, & ce desreiglement?
CHERIFFE.
Ne t'en va pas si tost, arreste un seul moment,
Souffre qu'entre tes
bras je puisse rendre l'ame.
DOM SANCHE.
Reprenez vos esprits, ouvrez les yeux, Madame,
Ce n'est pas-là le Cid,
& vous parlez au Roy.
CHERIFFE.
Non ce n'est pas le Cid, Ah! Sire, excusez-moy
En l'estat où m'a mis
la malice d'un traistre,
A peine je me puis moy-mesme recognoistre.
LE ROY.
De qui vous plaignez-vous? & quelle trahison
A si soudainement
troublé vostre raison?
CHERIFFE.

Grand Monarque, Rodrigue a commis cette offence.
LE ROY.
Tout beau belle Cheriffe, espargnez l'innocence
Ses rares qualitez &
vos perfections
Ne luy permettent pas ces viles actions.
CHERIFFE.
Cet ingrat a pourtant trahy mon esperance.
L'INFANTE.
Ouy, mais estant conceüe avec peu d'apparence
Vous mesme vous
avez trompé vostre dessein,
Et le traistre, Madame, est dedans vostre
sein
Ce fier tyran des coeurs dont vous portez les chaisnes
Est celuy
qui se plaist à prolonger vos peines,
Resistez aux efforts de ce
superbe enfant,
Qui par vostre foiblesse est de vous triomphant
En
cette occasion montrez plus de courage,
Mesprisez un Amant alors
qu'il est volage
Estimez ses devoirs quand il vous faict la Cour
Et
s'il manque de foy, manquez aussi d'amour:
Vous cherissez Rodrigue,
il adore Chymene,
Et cette affection rend vostre attente vaine,

Depuis un trop long-temps il aime cet object
Pour esperer jamais qu'il
change de projet.
CHERIFFE.
Mais il me l'a promis.
L'INFANTE.
C'est ce qu'il desadvoüe.
CHERIFFE.
Qu'il nie aussi l'ingrat qu'il tient de moy Cordoüe
Qu'il desappreuve
encor les effets de sa main.

L'INFANTE.
Madame, encore un coup vous esperez en vain.
Son coeur est engagé.
CHERIFFE.
Il faut donc que je meure.
DOM SANCHE.
Vostre condition peut bien estre meilleure
Madame, & si le Cid
manque pour vous d'amour,
Assez d'autres Seigneurs qui sont en cette
Cour,
Se croiront bien-heureux de perdre leur franchise,
Pour
acquerir un bien que cét ingrat mesprise.
CHERIFFE.
Mon malheur est de ceux qu'il ne faut point flatter.
Dom Sanche, en
cét estat que puis-je meriter,
Si ceux que j'ay servis avec tant
d'asseurance
Ont peine seulement de souffrir ma presence
Sans
grace, sans support, sans merite, & sans bien:
Je suis sans esperance,
& je ne veux plus rien
Que l'agreable coup, qui finira ma vie.
LE ROY.
Perdez belle Cheriffe une si lasche envie,
Vous devez esperer un
meilleur traittement,
Remeine-la Dom Sanche à son appartement,

Et rends luy les devoirs que sa beauté merite.
DOM SANCHE.
Madame, s'il vous plaist, agreez ma conduitte,
Souffrez que j'obeisse
aux volontez du Roy,
Et que je satisface à ce que je vous doy.
[Ils sortent.]
SCENE CINQUIESME.

LE ROY, DOM DIEGUE, L'INFANTE.
LE ROY.
Dom Diegue enfin le Cid a-t'il l'ame contente,
Sçait-il que j'ay
dessein de luy donner l'Infante,
Consent-il aisément à ce nouveau
projet.
DOM DIEGUE.
Vous estes son Roy, Sire, il est vostre sujet,
Et par cette raison il ne
peut sans offence,
S'opposer au devoir de son obeïssance:
J'ay
sondé toutesfois son esprit sur ce point
Son inclination ne s'en
esloigne point,
Et je croy seulement qu'une modeste crainte
Arreste
ses desirs & le tient en contrainte.
LE ROY.
C'est, que Chymene encore a sur luy tout pouvoir.
DOM DIEGUE.
Il l'oublira, Seigneur, plustost que son devoir
Le comte vous en est
une preuve certaine
Des ce temps-là Rodrigue idolatroit Chymene,

On le veid toutesfois luy-mesme se trahir,
Et s'il sçait bien aimer il
sçait mieux obeir.
LE ROY.
Je n'ay jamais douté de son obeïssance
Et sa seule vertu m'en donne
l'asseurance.
Vous, ma soeur, acceptez son amour & ses voeux
Et
pour toute raison sçachez que je le veux,
Il n'a receu du Ciel ny
sceptre ny couronne
Et sa grandeur consiste en sa seule personne:

Mais c'est là qu'il a faict ses plus nobles efforts,
C'est là qu'il a versé
ses plus riches
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