La vraye suitte du Cid | Page 5

Nicolas-Marc Desfontaines
de ses fers,
Oüy vostre ingratitude en ce
poinct est extréme
Que vous me haïssez parce que je vous aime

Mais Chymene advoüez que vous avez grand tort
Si Dom Sanche m'a
faict un fidele rapport,
Et si lors qu'il alla vous offrir mes hommages

Pour sa commission il reçeut des outrages,
Quelque superbe espoir
qui flatte vostre orgueil
Vous me devez Chymene un plus courtois
accueil,
Outre ma qualité la seule bien-seance
Doit porter vostre
esprit à cette defference,
Et si l'on vous déplaist quand on vous faict
la cour
Le respect doit au moins suppléer à l'amour.
CHYMENE.
Sire, je ne sçay pas ce qui faict vostre plainte
Ny de quelles couleurs
Dom Sanche m'a dépeinte
Mais quelque opinion qu'il vous ait fait
avoir
Jamais la vanité n'a trahy mon devoir
Et lors que je renonce
au rang de souveraine
Je suis respectueuse & non pas inhumaine,
Il
est vray que Dom Sanche a droict d'estre irrité
Et que j'ay vivement
contre luy esclatté:
Mais, Sire, ses discours ont causé ma colere

Ozant me reprocher le meurtre de mon pere,
Et si mal à propos
venant m'entretenir
D'un coup qui seigne encor dedans mon souvenir,
LE ROY.
Si ce ressentiment occupe ta memoire
Il est belle Chymene important
à ta gloire
Et mesme necessaire à ton contentement
Que l'autheur de
ce coup ne soit pas ton Amant,
Aussi bien n'a-t'il plus cette premiere
flame
Que ta grace autresfois alluma dans son ame,
Le Cid en te
quittant a quitté son projet
Et comme de Climat il a changé d'object

Cheriffe maintenant est la beauté fatale
Qui fut son ennemie & qu'il
rend ta rivale
Je sçay qu'à cette Infante il est fort obligé,
Mais quand
de ce dessein il seroit desgagé
Les services rendus par toute sa famille

Destinent à ses voeux l'Infante de Castille;
Si bien que ton amour
ne doit rien esperer

S'il ne veut desormais pour moy se declarer

L'INFANTE.
Que mon ame est icy diversement atteinte
Des mouvemens d'amour,
d'esperance & de crainte
Je dois mon esperance à qui je dois le jour

Cheriffe faict ma peur & le Cid mon Amour
De tant de passions
qu'elle sera plus forte
SCENE DEUXIESME.
LE ROY, L'INFANTE, CHYMENE, D. ARIAS.
DOM ARIAS.
Sire,
LE ROY.
Que me veux-tu?
DOM ARIAS.
Le Cid est à la porte.
LE ROY.
Qu'il entre: He bien Chimene en fin vous allez voir
Ce glorieux
vainqueur que je vay recevoir
Je sçay qu'il doit venir avec beaucoup
de pompe
Et mesme avec Cheriffe ou sa lettre me trompe
Vous
pouvez remarquer en cette occasion
Ou son ingratitude, ou son
affection:
Servez vous bien du temps dedans cet intervalle
Conferez
vos attraicts avec vostre Rivalle
Et par ses qualitez Jugez de vostre
sort
CHYMENE à part.
De quels yeux juste Ciel verray-je cet abord.
SCENE TROISIEME.

LE ROY, L'INFANTE, CHYMENE, LE CID, CHERIFFE,
SPHERANTE, CELIMANT, D. ARIAS.
LE CID.
Monarque le plus grand que le soleil esclaire
Prince victorieux que
l'Espaigne revere:
Mars enfin satisfaict me rend auprés de vous,
Et
me permet l'honneur d'embrasser vos genoux:
Mais comme auprés
des dieux dont vous estes l'image
On ne se doit jamais approcher sans
hommage
J'ay creu pour meriter le bon-heur de vous voir
Que de
moy vos grandeurs exigeoient ce devoir.
Sire recevez donc cette
illustre couronne,
Que mon bras vous apporte & que le ciel vous
donne,
Avecque ces deux Roys, en ce point bienheureux
Qu'ils sont
les prisonniers d'un Roy si genereux
Cettuy cy possedoit le sceptre de
Cordoüe
Et l'autre que mon sort veut mesme que je loüe
Du prince
de Tolede est l'unicque heritier
LE ROY.
Tu m'en feras grand Cid le recit tout entier:
Mais avant que l'ouir il
fault que je t'embrasse
Que je baise ce front digne du Dieu de Trace

Et que j'admire enfin ces traits imperieux
Qu'Amour & Mars par
tout rendent victorieux.
LE CID.
Ah? Sire à ce discours je ne sçay que respondre
L'excez de vos
bontez ne sert qu'à me confondre
Pour espargner ma honte espargnez
vos faveurs,
Et comme les travaux partagez les honneurs:
Comme
moy vos soldats ont fait vostre victoire,
Il est Juste grand Roy qu'ils
ayent part en la gloire
Et que par les bienfaits de vostre Majesté
Ils
reçoivent le prix de leur fidelité
LE ROY.
On peut à leur merite aisément satisfaire,
Mais pour tes actions il n'est

point de salaire
Ouy grand Cid tu te plais à faire des ingras
Et ta
langue veut vaincre aussi bien que ton bras
Pour me favoriser neglige
ta deffence
Et te laisse une fois vaincre à ma bien-veillance,

Autrement tu me fais des presens superflus
Si tu veux que je sois au
rang de tes vaincus,
Mais que ton eloquence espargne un peu ses
charmes
Et fais nous le recit du succez de tes armes
Un plus digne
entretien ne nous peut arrester.
LE CID.
Grand Prince quel qui soit je vay vous contenter.
Je ne fus pas plutost
hors de cette frontiere
Que mon bras qui cherchoit quelque noble
matiere,
D'exercer sa valeur; d'un sang ardent & prompt
Prit pour
premier objet le Tyran d'Ayamont
D'abord je l'investis, puis je forçay
sa ville
Et je fis son tombeau du lieu de son azile
Ce siege fut suivy
d'un plus heureux effet
Les Algarbes confus virent leur Roy deffaict

Et de leur propre
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