et du dernier bateau, elle a cet instinct de sauvage, cette ruse
de Peau-Rouge par laquelle les femmes sont si redoutables, j'entends
les vraies femmes, celles qui savent armer leur beauté. Au reste d'esprit
médiocre, ne sentant point ce qui est vraiment grand, affairée, frivole,
vide et s'ennuyant toujours.
Elle est veuve. Son père l'aide à donner des dîners et des soirées dont
on parle dans les journaux. Ce père est aussi très moderne. Il ne prétend
pas aux respects exagérés de sa fille, qu'il aime en connaisseur, avec
une petite pointe de sensualisme et de jalousie. Très galant homme sans
doute, mais poussant assez loin le dilettantisme de la paternité.
Madame de Burne reçoit dans son pavillon de la rue du Général-Foy
des musiciens, des romanciers, des peintres, des diplomates, des gens
riches, enfin le personnel ordinaire d'un salon à la mode. On sait
qu'aujourd'hui les hommes de talent sont fort bien accueillis dans le
monde quand ils sont célèbres. À mesure qu'on avance dans la vie, on
s'aperçoit que le courage le plus rare est celui de penser. Le monde se
croit assez hardi quand il soutient les réputations établies. Madame de
Burne a un romancier naturaliste dont les livres se tirent à plusieurs
mille et un musicien qui, selon l'usage, a fait jouer un opéra d'abord à
Bruxelles, puis à Paris. Il y a cent ans, elle aurait eu un perroquet et un
philosophe.
Son salon est très distingué, select, diraient les journaux: madame de
Burne qui adore être adorée, a tourné la tête à tous ses intimes. Tous
ont eu leur crise. Elle les a tous gardés, sans doute parce qu'elle n'en a
préféré aucun. Mais un nouveau venu, M. André Mariolle qui l'aime à
son tour, et le lui dit, parvient à lui inspirer l'idée qu'il est peut-être bon
d'aimer. Elle se donne à lui sans marchander, généreusement. Elle a de
la crânerie, cette petite femme; mais elle n'est pas faite pour aimer. M.
André Mariolle s'aperçoit bien vite qu'elle y met une distraction
impardonnable. Il en souffre, car il aime profondément, lui, et il la veut
toute. Après un an d'essais, fatigué, irrité, désespéré de la trouver
toujours près de lui absente ou fuyante, il rompt, s'échappe et va se
cacher. Mais pas très loin, à Fontainebleau seulement où il trouve une
petite servante d'auberge qui lui prouve tout de suite que les femmes
n'ont pas toutes, en amour, l'élégante indifférence de madame de Burne.
Voilà le roman. Il est cruel et ce n'est point de ma faute. Quelques-uns
de mes lecteurs, et non pas ceux dont la sympathie m'est la moins chère,
se plaignent parfois, je le sais, avec une douceur qui me touche, que je
ne les édifie point assez et que je ne dis plus rien pour la consolation
des affligés, l'édification des fidèles et le salut des pécheurs.
Qu'ils ne s'en prennent pas trop à moi de tout ce que je suis obligé de
leur montrer d'amer et de pénible. Il y a dans la pensée contemporaine
une étrange âcreté. Notre littérature ne croit plus à la bonté des choses.
Écoutons un rêveur comme Loti, un intellectuel comme Bourgety un
sensualiste comme Maupassant, et, nous entendrons, sur des tons
différents, les mêmes paroles de désenchantement. On ne nous montre
plus de Mandane ni de Clélie triomphant par la vertu des faiblesses de
l'âme et des sens. L'art du XVIIIe siècle croyait à la vertu, du moins
avant Racine qui fut le plus audacieux, le plus terrible et le plus vrai
des naturalistes, et peut-être, à certains égards le moins moral. L'art du
XVIIIe siècle croyait à la raison. L'art du XIXe siècle croyait d'abord à
la passion, avec Chateaubriand, George Sand et les romantiques.
Maintenant, avec les naturalistes, il ne croit plus qu'à l'instinct.
C'est sur les fatalités de nature, sur le déterminisme universel que nos
romanciers les plus puissants fondent leur morale et déroulent leurs
drames. Je ne vois guère que M. Alphonse Daudet qui, parmi eux,
semble admettre parfois une sorte de providence universelle, un
impératif catégorique et ce que son ami Gambetta appelait, un peu
radicalement, la justice immanente des choses. Les autres sont des
sensualistes purs, infiniment tristes, de cette profonde tristesse
épicurienne auprès de laquelle l'affliction du croyant semble presque de
la joie. Cela est un fait, et il faut bien que je le dise, comme le moine
Raoul Glaber notait dans sa chronique les pestes et les famines de son
siècle effrayant.
M. de Maupassant, du moins, ne nous a jamais flattés. Il ne s'est jamais
fait scrupule de brutaliser notre optimisme, de meurtrir notre rêve
d'idéal. Et il s'y est toujours pris avec tant de franchise, de droiture, et
d'un coeur si simple et si ferme, qu'on ne lui a point trop gardé rancune.
Et
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