tes élans, La distance est trop grande et trop profond
l'abîme Entre ta pensée et tes flancs.
La mort est le seul fruit qu'en tes crises futures Il te sera donné
d'atteindre et de cueillir; Toujours nouveau débris, toujours des
créatures Que tu devras ensevelir!
Car sur ta route en vain l'âge à l'âge succède Les tombes, les berceaux
ont beau s'accumuler L'idéal qui te fuit, l'idéal qui t'obsède À l'infini
pour reculer.
* * * * *
Et l'on s'étonne que d'une existence tout unie et tranquille soit sortie
cette oeuvre de désespoir. Dans sa cellule aussi froide, aussi chaste,
aussi paisible qu'au temps des fils de Dominique, la recluse de Nice a
gémi comme une sainte de l'athéisme, sur les misères qu'elle
n'éprouvait pas, sur les souffrances de l'humanité tout entière. Elle a fait
doucement le songe de la vie; mais elle savait que ce n'était qu'un songe.
Peut-être vaut-il mieux croire à la réalité de l'être et à la bonté divine,
puisque, si c'est là une illusion, c'est une illusion que la mort indulgente
ne dissipera point. Quoi qu'il soit de nous, ceux qui croient à
l'immortalité de la personne humaine n'ont pas à craindre d'être
détrompés après leur mort. Si, comme il est infiniment probable, ils ont
espéré en vain, s'ils ont été dupes, ils ne le sauront jamais.
NOTRE COEUR[2]
Oui, sans doute, M. de Maupassant a raison: les moeurs, les idées, les
croyances, les sentiments, tout change. Chaque génération apporte des
modes et des passions nouvelles. Ce perpétuel écoulement de toutes les
formes et de toutes les pensées est le grand amusement et aussi la
grande tristesse de la vie. M. de Maupassant a raison: ce qui fut n'est
plus et ne sera jamais plus. De là le charme puissant du passé. M. de
Maupassant a raison: Tous les vingt-cinq ans les hommes et les femmes
trouvent à la vie et à l'amour un goût qui n'avait point encore été senti.
Nos grand'mères étaient romantiques. Leur imagination aspirait aux
passions tragiques. C'était le temps où les femmes portaient des boucles
à l'anglaise et des manches à gigot: on les aimait ainsi. Les hommes
étaient coiffés en coup de vent. Il leur suffisait pour cela de se brosser
les cheveux, chaque matin, d'une certaine manière. Mais, par cet
artifice, ils avaient l'air de voyageurs errant sur la pointe d'un cap ou sur
la cime d'une montagne, et ils semblaient perpétuellement exposés,
comme M. de Chateaubriand, aux orages des passions et aux tempêtes
qui emportent les empires. La dignité humaine en était beaucoup
relevée. Sous Napoléon III, les allures devinrent plus libres et les
physionomies plus vulgaires. Aux jours de sainte Crinoline, les femmes,
entraînées dans un tourbillon de plaisirs, allaient de bal en bal et de
souper en souper, vivant vite, aimant vite et, comme madame Benoiton,
ne restant jamais chez elles. Puis, quand la fête fut finie, la morphine en
consola plus d'une des tristesses du déclin. Et peu d'entre elles eurent
l'art, l'art exquis de bien vieillir, d'achever de vivre à la façon des dames
du temps jadis qui, sages enfin et coquettes encore, abritaient
pieusement sous la dentelle, les débris de leur beauté, les restes de leur
grâce, et de loin souriaient doucement à la jeunesse, dans laquelle elles
cherchaient les figures de leurs souvenirs. Vingt ans sont passés sur les
beaux jours de madame Benoiton; de nouveaux sentiments se sont
formés dans une chair nouvelle. La génération actuelle a sans doute sa
manière à elle de sentir et de comprendre, d'aimer et de vouloir. Elle a
sa figure propre, elle a son esprit particulier, qu'il est difficile de
reconnaître.
Il faut beaucoup d'observation et une sorte d'instinct pour saisir le
caractère de l'époque dans laquelle on vit et pour démêler au milieu de
l'infinie complexité des choses actuelles les traits essentiels, les formes
typiques. M. de Maupassant y doit réussir autant et mieux que personne,
car il a l'oeil juste et l'intuition sûre. Il est perspicace avec simplicité.
Son nouveau roman veut nous montrer un homme et une femme en
1890, nous peindre l'amour, l'antique amour, le premier né des dieux,
sous sa figure présente et dans sa dernière métamorphose. Si la peinture
est fidèle, si l'artiste a bien vu et bien copié ses modèles, il faut
convenir qu'une Parisienne de nos jours est peu capable d'une passion
forte, d'un sentiment vrai.
Michèle de Burne, si jolie dans son éclat doré, avec son nez fin et
souriant et son regard de fleur passée, est une mondaine accomplie. Elle
a ce goût léger des arts qui donne de la grâce au luxe et communique à
la beauté un charme qui la rend toute-puissante sur les esprits raffinés.
De plus, sous des airs de gamin et avec un mauvais ton tout à fait
moderne
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