puis il ne raisonne pas; il n'est subtil ni taquin. Enfin, il a un talent si
puissant, une telle sûreté de main, une si belle audace; qu'il faut bien le
laisser dire et le laisser faire. Volontairement ou non, il s'est peint dans
un des personnages de son dernier roman. Car il est impossible de ne
pas reconnaître l'auteur de Bel Ami en ce Gaston de Lamarthe qu'on
nous dit «doué de deux sens très simples; une vision nette des formes et
une intuition instinctive des dessous». Et le portrait de ce Gaston de
Lamarthe n'est-il pas trait pour trait, le portrait de M. de Maupassant?
Gaston de Lamarthe, c'était avant tout un homme de lettres, un
impitoyable et terrible homme de lettres. Armé d'un oeil qui cueillait
les images, les attitudes, les gestes, avec une rapidité et une précision
d'appareil photographique, et doué d'une pénétration, d'un sens de
romancier naturel comme un flair de chien de chasse, il emmagasinait
du matin au soir des renseignements professionnels.
Mais, avec tout cela Michèle de Burne est-elle tout ce qu'il voulait
qu'elle fût, est-elle le type de la femme d'aujourd'hui? J'avoue que je
serais curieux de le savoir. Je vois bien qu'elle est moderne par ses
bibelots et ses toilettes et par la petite horloge de son coupé, encore que
l'héroïne du roman parallèle de M. Paul Bourget ait pris soin de faire
venir la sienne d'Angleterre. Je vois bien qu'elle s'habille chez D...,
comme les actrices du Gymnase et les femmes de la haute finance, et je
n'oserais pas la chicaner sur cette ceinture d'oeillets, cette guirlande de
myosotis et de muguets, et ces trois orchidées sortant de la gorge qui,
entre nous, me semblent le rêve d'une perruche de l'Amérique du Sud
plutôt que l'industrie d'une femme née sur le bord de la Seine, «au vrai
pays de gloire». Mais ce sont là des sujets infiniment délicats et
beaucoup plus difficiles pour moi que la couleur et le tissu du style. Je
vois--et c'est un grand point--que par ces robes emplumées «dont elle
était prisonnière, ces robes gardiennes jalouses, barrières coquettes et
précieuses», qu'elle porte jusque dans le petit pavillon des rendez-vous,
madame de Burne rappelle la Paulette de Gyp et cette madame
d'Houbly dont la robe était fermée par soixante olives sous lesquelles
passaient autant de ganses, sans compter les agrafes et une rangée de
boutons. Et je me persuade que madame de Burne est très moderne et
tout à fait éloignée de la nature. Elle est moderne, ce semble aussi par
un tour d'esprit, un air de figure un je ne sais quoi, un rien qui est tout.
Je le crois, je le veux, elle est une femme moderne comme elles sont
toutes et disons-le--comme il y en a bien peu. Elle est la femme
moderne, telle que les loisirs, l'oisiveté, la satiété l'ont faite. Et celle-là
est si rare qu'on peut dire que numériquement elle ne compte pas, bien
qu'on ne voie qu'elle, pour ainsi dire, car elle brille à la surface de la
société comme une écume argentée et légère. Elle est la frange
étincelante au bord de la profonde vague humaine. Sa fonction futile et
nécessaire est de paraître. C'est pour elle que s'exercent des industries
innombrables dont les ouvrages sont comme la fleur du travail humain.
C'est pour orner sa beauté délicate que des milliers d'ouvriers lissent
des étoffes précieuses, cisellent l'or et taillent les pierreries. Elle sert la
société sans le vouloir, sans le savoir, par l'effet de cette merveilleuse
solidarité qui unit tous les êtres. Elle est une oeuvre d'art, et par là elle
mérite le respect ému de tous ceux qui aiment la forme et la poésie.
Mais elle est à part; ses moeurs lui sont particulières et n'ont rien de
commun avec les moeurs plus simples et plus stables de cette multitude
humaine vouée à la tâche auguste et rude de gagner le pain de chaque
jour. C'est là, c'est dans cette masse laborieuse que sont les vraies
moeurs, les véritables vertus et les véritables vices d'un peuple.
Quant à madame de Burne, dont la fonction est d'être élégante, elle
accomplit sa tâche sociale en mettant de belles robes. Ne lui en
demandons pas davantage. M. de Mariolle fut bien imprudent en
l'aimant de tout son coeur et en exigeant qu'une personne qui se devait
à sa propre beauté renonçât à elle-même pour être tout à lui. Il en
souffrit cruellement. Et la petite bonne de Fontainebleau ne le consola
pas. S'il veut être consolé, je lui conseille de lire l'Imitation. C'est un
livre secourable. M. Cherbuliez (il me l'a dit un jour) croit qu'il a été
écrit par un homme qui avait connu le monde, et qui y avait aimé. Je le
crois aussi. On ne s'expliquerait pas sans cela des
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