La vie et la mort du roi Richard II | Page 7

William Shakespeare

d'Hereford les injures de mon mari, afin qu'elle entre dans le coeur de
l'assassin Mowbray; ou si, par un malheur, elle manquait la première
passe, que les crimes de Mowbray surchargent tellement son sein que
les reins de son coursier écumant en soient rompus et que le cavalier
tombe la tête la première dans l'arène, lâche, tremblant, à la merci de
mon cousin d'Hereford! Adieu, vieux Gaunt: celle qui fut un jour la
femme de ton frère finira sa vie avec sa compagne, la douleur.
GAUNT.--Adieu, ma soeur; il faut que je me rende à Coventry. Que
tout le bien que je te souhaite m'accompagne!
LA DUCHESSE DE GLOCESTER.--Un mot encore. La douleur, en
tombant, rebondit non par le vide, mais par le poids. Je prends congé de
toi avant que je t'aie encore rien dit, car le chagrin ne finit pas là où il
semble fini: rappelle-moi au souvenir de mon frère York.... Oui, voilà
tout.... Mais non, ne pars pas encore ainsi; quoique ce soit tout, ne t'en
va pas si vite.... Je puis me rappeler autre chose. Prie-le.... oh! de
quoi?... de se hâter de venir me voir à Plashy. Hélas! que viendra-t-il y
voir, ce bon vieux York, que des appartements déserts, des murailles
dépouillées, des cuisines dépeuplées, un pavé qu'on ne foule plus. Et

pour sa bienvenue, quelle autre réception trouvera-t-il que mes
gémissements? Rappelle-moi donc seulement à son souvenir; qu'il ne
vienne pas chercher en ce lieu la tristesse qui habite partout: désolée,
désolée je m'en irai d'ici et je mourrai. Mes yeux, en pleurs te disent le
dernier adieu.
(Ils sortent.)

SCÈNE III
Gosford-Green, près de Coventry.--Lice préparée avec un trône;
hérauts, etc., suite.
Entrent LE LORD MARÉCHAL ET D'AUMERLE.
LE MARÉCHAL.--Milord Aumerle, Henri d'Hereford est-il armé?
AUMERLE.--Oui, armé de toutes pièces, et il brûle d'entrer dans la
lice.
LE MARÉCHAL.--Le duc de Norfolk, plein d'ardeur et d'audace,
n'attend que le signal de la trompette de l'appelant.
AUMERLE.--En ce cas, les champions sont tout prêts, et n'attendent
que l'arrivée de Sa Majesté.
(Les trompettes sonnent une fanfare.--Entrent Richard qui va s'asseoir
sur le trône, Gaunt et plusieurs autres nobles qui prennent leurs
places.--Une trompette sonne, et une autre lui répond de
l'intérieur.--Entre alors Norfolk, couvert de son armure, et précédé par
un héraut.)
RICHARD.--Maréchal, demandez à ce champion le sujet qui l'amène
ici en armes: demandez-lui son nom; ensuite, procédez avec ordre à lui
faire prêter serment de la justice de sa cause.
LE MARÉCHAL.--Au nom de Dieu et du roi, dis qui tu es, et pourquoi

tu viens ainsi armé en chevalier. Contre qui viens-tu combattre, et
quelle est ta querelle? Réponds la vérité, sur ta foi de chevalier et sur
ton serment; et après, que le ciel et ta valeur te défendent!
NORFOLK.--Mon nom est Thomas Mowbray, duc de Norfolk. Je viens
ici engagé par un serment que le ciel préserve un chevalier de violer
jamais! j'y viens pour défendre ma loyauté et mon honneur devant Dieu,
mon roi et ma postérité, contre le duc d'Hereford, qui est l'appelant; et,
par la grâce de Dieu et le secours de ce bras, je viens lui prouver pour
ma défense qu'il est traître à mon Dieu, à mon roi et à moi. Que le ciel
me défende, comme je combats pour la vérité.
(Les trompettes sonnent.--Entre Bolingbroke, couvert de son armure, et
précédé d'un héraut.)
RICHARD.--Maréchal, demandez à ce chevalier armé qui il est et
pourquoi il vient ici vêtu de ses habits de guerre, et, conformément à
nos lois, faites-lui déposer dans les formes de la justice de sa cause.
LE MARÉCHAL.--Quel est ton nom, et pourquoi parais-tu ici devant
le roi Richard dans sa lice royale? Contre qui viens-tu, et quelle est ta
querelle? Réponds comme un loyal chevalier, et que le ciel te défende.
BOLINGBROKE.--Je suis Henri d'Hereford, de Lancastre et de Derby,
qui me tiens ici en armes prêt à prouver, par la grâce de Dieu et les
prouesses de mon corps, à Thomas Mowbray, duc de Norfolk, qu'il est
un abominable et dangereux traître envers le Dieu des cieux, le roi
Richard et moi. Que le ciel me défende, comme je combats pour la
vérité.
LE MARÉCHAL.--Sous peine de mort, que personne n'ait la hardiesse
et l'audace de toucher les barrières de la lice, excepté le maréchal et les
officiers chargés de présider à ces loyaux faits d'armes.
BOLINGBROKE.--Lord maréchal, permettez que je baise la main de
mon souverain et que je fléchisse le genou devant Sa Majesté; car
Mowbray et moi nous ressemblons à deux hommes qui font voeu
d'accomplir un long et fatigant pèlerinage. Prenons donc

solennellement congé de nos divers amis, et faisons-leur de tendres
adieux.
LE MARÉCHAL.--L'appelant salue respectueusement Votre Majesté,
et demande à vous baiser la main et à prendre congé de vous.
RICHARD.--Nous descendrons
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