La vie et la mort du roi Richard II | Page 6

William Shakespeare
de la mort vivra
sur mon tombeau. Je suis ici insulté, accusé, conspué, percé jusqu'au
coeur du trait empoisonné de la calomnie, sans pouvoir être guéri par
aucun autre baume que par le sang du coeur d'où s'est exhalé le venin.
RICHARD.--Il faudra bien que cette rage se contienne. Donne-moi son
gage: les lions apprivoisent les léopards.
NORFOLK.--Oui, mais ils ne peuvent changer leurs taches. Effacez
mon déshonneur, et je cède mon gage. Mon cher maître, le trésor plus
pur que puisse donner cette vie mortelle, c'est une réputation sans tache:
dépouillés de ce bien, les hommes ne sont plus qu'une terre dorée, une
argile peinte. Le diamant précieux enfermé sous les dix verrous d'un
coffre-fort, c'est un esprit hardi dans un coeur loyal. Mon honneur est
ma vie, tous deux existent conjointement: si tu m'ôtes l'honneur, je n'ai
plus de vie. Ainsi mon cher souverain, laisse-moi défendre mon
honneur; c'est par lui que je vis, et je mourrai pour lui.
RICHARD.--Cousin, jetez votre gage: commencez-le premier.
BOLINGBROKE.--Que Dieu préserve mon âme d'un si horrible péché!
Ne montrerai-je le front humilié à la vue de mon père, et démentirai-je
ma fierté par la crainte d'un pâle mendiant, devant ce lâche que j'ai
bravé? Avant que ma langue outrage mon honneur par une indigne
faiblesse, et se prête à une si honteuse composition, mes dents
déchireront le servile instrument de la crainte renégate, et le cracheront
sanglant pour compléter sa honte, là où siége la honte, à la face de
Mowbray.
RICHARD.--Nous ne sommes pas nés pour solliciter, mais pour
condamner. Puisque nous ne pouvons vous rendre amis, soyez prêts, le
jour de Saint-Lambert, à répondre sur vos vies: c'est là que vos épées et
vos lances décideront les débats toujours grossissant de votre haine
obstinée. Puisque nous ne pouvons vous adoucir, nous, verrons la
justice manifester par la victoire de quel côté se trouve
l'honneur.--Maréchal, ordonnez à nos officiers d'armes de se tenir prêts

pour diriger ce combat domestique.
(Ils sortent.)

SCÈNE II
La scène est toujours à Londres, dans le palais du duc de Lancastre.
Entrent GAUNT, LA DUCHESSE DE GLOCESTER.
GAUNT.--Hélas! cette part que j'avais dans le sang de Glocester me
sollicite plus fortement que vos cris à poursuivre les bouchers de sa vie.
Mais puisque le châtiment réside dans les mains qui ont fait le crime
que nous ne pouvons punir, remettons notre cause à la volonté du ciel,
qui, lorsqu'il en verra les temps mûrs sur la terre, fera pleuvoir sa
brûlante vengeance sur la tête des coupables.
LA DUCHESSE DE GLOCESTER.--Quoi! la qualité de frère ne
trouvera pas en toi un aiguillon plus pénétrant? ton vieux sang n'a pas
conservé vivante une étincelle d'affection? Les sept fils d'Edouard, au
nombre desquels tu te comptes, étaient comme sept vases de son sang
sacré, comme sept belles branches sorties d'une seule racine:
quelques-uns de ces vases ont été desséchés par le cours de la nature;
quelques-unes de ces branches ont été tranchées par la destinée: mais
Thomas, mon cher époux, ma vie, mon Glocester, ce vase rempli du
sang d'Edouard, a été brisé sous la main de la haine et de la sanglante
hache du meurtre, sa précieuse liqueur s'est épanchée: cette branche
florissante de la très-royale souche a été coupée, et les feuilles de son
été se sont flétries. Ah! Gaunt, son sang était le tien: c'est de la couche,
c'est du flanc, de la matière, de la substance même qui t'ont formé qu'il
avait tiré son existence; et quoique vivant et respirant, tu as été
assassiné en lui. C'est à beaucoup d'égards consentir à la mort de ton
père que de voir ainsi mourir ton malheureux frère, qui était la
représentation de la vie de ton père. N'appelle point cela patience,
Gaunt, c'est du désespoir. En souffrant ainsi qu'on égorge ton frère, tu
montres à découvert le chemin qui conduit à ta vie, tu instruis le

meurtrier farouche à t'assassiner. Ce que dans les hommes du bas étage
nous appelons patience est dans un noble sein une froide et tranquille
lâcheté. Que te dirai-je enfin? Pour mettre ta vie en sûreté, le meilleur
moyen c'est de venger la mort de mon Glocester.
GAUNT.--Cette cause est celle du ciel, car le délégué du ciel, son
lieutenant oint devant sa face, est l'auteur de la mort de Glocester:
lorsqu'il commet le crime, la vengeance en est au ciel; pour moi, je ne
puis lever un bras irrité contre son ministre.
LA DUCHESSE DE GLOCESTER.--A qui donc, hélas! puis-je porter
ma plainte?
GAUNT.--Au ciel, qui est le champion et le défenseur de la veuve.
LA DUCHESSE DE GLOCESTER.--Eh bien! je me plaindrai à lui.
Adieu, vieux Gaunt. Tu vas à Coventry pour voir le combat de notre
cousin d'Hereford et du perfide Mowbray. Oh! fais peser sur la lance
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 42
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.