La vie et la mort du roi Richard II | Page 5

William Shakespeare
suis un traître ou si je combats pour une cause
injuste!
RICHARD.--Quelle est l'accusation dont notre cousin charge Mowbray?
Il faut qu'elle soit grave pour parvenir à nous inspirer même la pensée
qu'il ait pu mal faire.
BOLINGBROKE.--Écoutez-moi, j'engage ma vie à prouver la vérité de
ce que je dis: Mowbray a reçu huit mille nobles[2] à titre de prêts pour

les soldats de Votre Altesse, et il les a retenus pour des usages de
débauche, comme un faux traître et un insigne vilain. De plus, je dis et
je le prouverai dans le combat, ou ici ou en quelque lieu que ce soit,
jusqu'aux extrémités les plus reculées qu'ait jamais contemplées l'oeil
d'un Anglais, que toutes les trahisons qui depuis dix-huit ans ont été
complotées et machinées dans ce pays ont eu pour premier chef et pour
principal auteur le perfide Mowbray. Je dis encore, et je soutiendrai
tout cela contre sa détestable vie, qu'il a comploté la mort du duc de
Glocester; qu'il en a suggéré l'idée à ses ennemis faciles à persuader, et
par conséquent que c'est lui qui, comme un lâche traître, a fait écouler
son âme innocente dans des ruisseaux de sang; et ce sang, comme celui
d'Abel tiré à son sacrifice, crie vers moi du fond des cavernes muettes
de la terre; il me demande justice et un châtiment rigoureux: et, j'en jure
par la noblesse de ma glorieuse naissance, ce bras fera justice, ou j'y
perdrai la vie.
[Note 2: Monnaie d'or.]
RICHARD.--A quelle hauteur s'est élevé l'essor de son
courage!--Thomas de Norfolk, que réponds-tu à cela?
NORFOLK.--Oh! que mon souverain veuille détourner son visage, et
commander à ses oreilles d'être sourdes un instant, jusqu'à ce que j'aie
appris à celui qui déshonore son sang à quel point Dieu et les gens de
bien détestent un si exécrable menteur.
RICHARD.--Mowbray, nos yeux et nos oreilles sont impartiales: fût-il
mon frère, ou même l'héritier de mon royaume, comme il n'est que le
fils du frère de mon père, je le jure par le respect dû à mon sceptre,
cette parenté qui l'allie de si près à notre sang sacré ne lui donnerait
aucun privilége et ne rendrait point partiale l'inflexible fermeté de mon
caractère intègre. Il est mon sujet, Mowbray, toi aussi; je te permets de
parler librement et sans crainte.
NORFOLK.--Eh bien! Bolingbroke, à partir de la basse région de ton
coeur, et à travers le traître canal de ta gorge, tu en as menti. De cette
recette que j'avais pour Calais, j'en ai fidèlement remis les trois quarts
aux soldats de son Altesse: j'ai gardé l'autre de l'aveu de mon souverain,

qui me devait cette somme pour le reste d'un compte considérable dû
depuis le dernier voyage que je fis en France pour aller y chercher la
reine. Avale donc ce démenti.--Quant à la mort de Glocester... je ne l'ai
point assassiné: seulement j'avoue à ma honte qu'en cette occasion j'ai
négligé le devoir que j'avais juré de remplir.--Pour vous, noble lord de
Lancastre, respectable père de mon ennemi, j'ai dressé une fois des
embûches contre vos jours, crime qui tourmente mon âme affligée;
mais avant de recevoir pour la dernière fois le sacrement, je l'ai
confessé, et j'ai eu soin d'en demander pardon à Votre Grâce, qui,
j'espère, me l'a accordé. Voilà ce que j'ai à me reprocher. Pour tous les
autres griefs qu'il m'impute, ces accusations partent de la haine d'un
vilain, d'un traître lâche et dégénéré, sur quoi je me défendrai
hardiment en propre corps: je jette donc à ce traître outrecuidant mon
gage en échange du sien; je lui prouverai ma loyauté de gentilhomme
aux dépens du meilleur sang qu'il renferme dans son sein; et pour ce
faire promptement, je conjure sincèrement Votre Altesse de nous
assigner le jour de l'épreuve.
RICHARD.--Gentilshommes enflammés de colère, laissez-moi vous
diriger: purgeons cette bile sans tirer de sang. Sans être médecin, voici
ce que je prescris: un ressentiment profond fait de trop profondes
incisions; ainsi donc, oubliez, pardonnez, terminez ensemble et
réconciliez-vous; nos docteurs disent que ce n'est pas la saison de
saigner.--Mon bon oncle, que cette querelle finisse où elle a commencé:
nous apaiserons le duc de Norfolk; vous, calmez votre fils.
GAUNT.--Il convient assez à mon âge d'être un médiateur de
paix.--Jette à terre, mon fils, le gage du duc de Norfolk.
RICHARD.--Et toi, Norfolk, jette à terre le sien.
GAUNT.--Eh bien, Henri, quoi? L'obéissance commande; je ne devrais
pas avoir à te commander deux fois.
RICHARD.--Allons, Norfolk, jette-le, nous l'ordonnons: cela ne sert de
rien.
NORFOLK.--C'est moi, redouté souverain, qui me jette à tes pieds: tu

pourras disposer de ma vie, mais non pas de ma honte; la première
appartient à mon devoir; mais je ne te livrerais pas, pour en faire un
usage déshonorant, ma bonne renommée, qui en dépit
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 42
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.