La vie et la mort du roi Richard II | Page 4

William Shakespeare
appartement dans le palais.
Entrent LE ROI RICHARD avec sa suite, JEAN DE GAUNT et
d'autres nobles avec lui.
RICHARD.--Vieux Jean de Gaunt, vénérable Lancastre, as-tu, comme
tu t'y étais engagé par serment, amené ici ton fils, l'intrépide Henri
d'Hereford, pour soutenir devant nous l'injurieux défi qu'il adressa
dernièrement au duc de Norfolk, Thomas Mowbray, et dont nous
n'eûmes pas alors le loisir de nous occuper?
GAUNT.--Oui, mon souverain, je l'ai amené.
RICHARD.--Réponds-moi encore: l'as-tu sondé? sais-tu s'il l'a défié,
poussé par une vieille haine, ou s'il a cédé à la vertueuse colère d'un
bon sujet, fondée sur quelque trahison dont il sache Mowbray
coupable?
GAUNT.--Autant que j'ai pu le pénétrer sur cette question, c'est sur la
connaissance de quelque danger dont Mowbray menace Votre Altesse,
et non par aucune haine invétérée.

RICHARD.--Fais-les comparaître tous deux en notre présence; nous
voulons entendre nous-même l'accusateur et l'accusé parler librement
face à face, et se menaçant l'un l'autre du regard. (Sortent quelques-uns
des gens de la suite du roi.) Ils sont tous deux hautains, pleins de colère,
et, dans leur fureur, sourds comme la mer, impétueux comme la
flamme.
(Rentrent les serviteurs avec Bolingbroke et Norfolk.)
BOLINGBROKE.--Que de longues années d'heureux jours échouent en
partage à mon gracieux souverain, à mon bien-aimé seigneur!
NORFOLK.--Puisse chaque jour ajouter au bonheur de la veille,
jusqu'à ce que le ciel, envieux des félicités de la terre, ajoute à votre
couronne un titre immortel!
RICHARD.--Nous vous remercions tous deux: cependant il y en a un
de vous qui n'est qu'un flatteur, à en juger par le sujet qui vous amène,
c'est-à-dire l'accusation de haute trahison que vous portez l'un contre
l'autre.--Cousin Hereford, que reproches-tu au duc de Norfolk, Thomas
Mowbray?
BOLINGBROKE.--D'abord (et que le ciel prenne acte de mes paroles!)
c'est excité par le zèle d'un sujet dévoué, et en vue de la précieuse
sûreté de mon prince, que, libre d'ailleurs de toute autre haine illégitime,
je viens ici le défier en votre royale présence.--Maintenant, Thomas
Mowbray, je me tourne vers toi, et remarque le salut que je t'adresse;
car ce que je vais dire, mon corps le soutiendra sur cette terre, où mon
âme, divine, en répondra dans le ciel. Tu es un traître et un mécréant,
de trop bon lieu pour ce que tu es, et trop méchant pour mériter de vivre,
car plus le ciel est pur et transparent, plus affreux paraissent les nuages
qui le parcourent; et pour te noter plus sévèrement encore, je t'enfonce
dans la gorge une seconde fois le nom de détestable traître, désirant,
sous le bon plaisir de mon souverain, ne point sortir d'ici que mon épée,
tirée à bon droit, n'ait prouvé ce que ma bouche affirme.
NORFOLK.--Que la modération de mes paroles ne fasse pas ici
suspecter mon courage. Ce n'est point par les procédés d'une guerre de

femmes, ni par les aigres clameurs de deux langues animées que peut se
décider cette querelle entre nous deux. Il est bien chaud le sang que
ceci va refroidir. Cependant je ne peux pas me vanter d'une patience
assez docile pour me réduire au silence et ne rien dire du tout: et
d'abord je dirai que c'est le respect de Votre Grandeur qui me tient
court, m'empêchant de lâcher bride et de donner de l'éperon à mes
libres paroles; autrement elles s'élanceraient jusqu'à ce qu'elles eussent
fait rentrer dans sa gorge ces accusations redoublées de trahison. Si je
puis mettre ici de côté la royauté de son sang illustre, et ne le tenir plus
pour parent de mon souverain, je le défie, et lui crache au visage
comme à un lâche calomniateur et un vilain, ce que je soutiendrais en
lui accordant tous les avantages, et je le rencontrerais quand je serais
obligé d'aller à pied jusqu'aux sommets glacés des Alpes, ou dans tout
autre pays inhabitable où jamais Anglais n'a encore osé mettre le pied.
En tout cas, je maintiens ma loyauté, et déclare, par tout ce que j'espère;
qu'il en a menti faussement.
BOLINGBROKE.--Pâle et tremblant poltron, je jette mon gage,
refusant de me prévaloir de ma parenté avec le roi, et je mets à l'écart la
noblesse de ce sang royal que tu allègues par peur et non par respect. Si
un effroi coupable t'a laissé encore assez de force pour relever le gage
de mon honneur, alors baisse-toi. Par ce gage et par toutes les lois de la
chevalerie, je soutiendrai corps à corps ce que j'ai avancé, ou tout ce
que tu pourrais imaginer de pis encore.
NORFOLK.--Je le relève, et je jure par cette épée, qui apposa
doucement sur mon épaule mon titre de chevalier, que je te ferai
honorablement raison de toutes les manières qui appartiennent aux
épreuves chevaleresques; et une fois monté à cheval, que je n'en
descende pas vivant si je
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