des plus profondes conceptions de Shakspeare.
Les commentateurs sont en grande discussion pour savoir si c'est à la
cour de Jacques ou à celle d'Élisabeth que Shakspeare a pris les
maximes qu'il professe assez communément en faveur du droit divin et
du pouvoir absolu. Shakspeare les a prises ordinairement dans ses
personnages mêmes; et il lui suffisait ici d'avoir à peindre un roi élevé
sur le trône. Richard n'a jamais imaginé qu'il fût ou pût être autre chose
qu'un roi; sa royauté fait à ses yeux partie de sa nature; c'est un des
éléments constitutifs de son être qu'il a apporté avec lui en naissant,
sans autre condition que de vivre: comme il n'a rien à faire pour le
conserver, il n'est pas plus en son pouvoir de cesser d'en être digne que
de cesser d'en être revêtu: de là son ignorance de ses devoirs envers ses
sujets, envers sa propre sûreté, son indolente confiance au milieu du
danger. Si cette confiance l'abandonne un instant à chaque nouveau
revers, elle revient aussitôt, doublant de force à mesure qu'il lui en faut
davantage pour suppléer aux appuis qui s'écroulent successivement.
Arrivé enfin au point où il ne lui est plus possible d'espérer, le roi
s'étonne, se regarde, se demande si c'est bien lui. Une autre espèce de
courage s'élève alors en lui; c'est celui que donne un malheur tel que
l'homme qui le subit s'exalte par la surprise où le plonge sa propre
situation; elle devient pour lui l'objet d'une si vive attention qu'il ose la
considérer sous tous ses rapports, ne fût-ce que pour la comprendre; et
par cette contemplation il échappe au désespoir, et s'élève quelquefois à
la vérité, dont la découverte calme toujours à un certain point: mais ce
calme est stérile, et ce courage inactif; il soutient l'esprit, mais il tue
l'action: aussi toutes les actions de Richard sont-elles de la dernière
faiblesse; ses réflexions mêmes sur son état actuel décèlent un
sentiment de sa nullité qui descend, en de certains moments, presque à
la bassesse: et qui pourrait le relever, lui qui, en cessant d'être roi, a
perdu, dans sa propre opinion, la qualité distinctive de son être, la
dignité de sa nature? Il se croyait précieux devant Dieu, soutenu par son
bras, armé de sa puissance; déchu de ce rang mystérieux où il s'était
placé, il ne s'en connaît plus aucun sur la terre; dépouillé de la force
qu'il croyait son droit, il ne suppose pas qu'il lui en puisse rester aucune:
aussi ne résiste-t-il à rien; ce serait essayer ce qu'il suppose impossible:
pour réveiller son énergie, il faut qu'un danger pressant, soudain,
provoque, pour ainsi dire, à son insu, des facultés qu'il désavoue:
attaqué dans sa vie, il se défend et meurt avec courage. Pour en avoir eu
toujours, il lui a manqué de savoir ce que vaut un homme.
Il ne faut point chercher dans Richard II, non plus que dans la plupart
des pièces historiques de Shakspeare, un caractère de style particulier:
la diction en est peu travaillée; assez souvent énergique, elle est
souvent aussi d'un vague qui laisse la raison absolument maîtresse de
décider sur le sens des expressions, que ne détermine aucune règle de
syntaxe.
Cette pièce est toute en vers, et en grande partie rimée. L'auteur paraît y
avoir fait des changements depuis la première édition, publiée en 1597.
La scène du procès de Richard, en particulier, manque tout entière dans
cette édition, et se trouve pour la première fois dans celle de 1608.
LA VIE ET LA MORT du ROI RICHARD II
TRAGÉDIE
PERSONNAGES
LE ROI RICHARD II. EDMOND DE LANGLEY, } duc d'York, }
oncles du JEAN DE GAUNT, duc de } roi. Lancastre. } HENRI,
surnommé BOLINGBROKE, duc d'Hereford, fils de Jean de Gaunt,
ensuite roi d'Angleterre sous le nom de Henri IV. LE DUC
D'AUMERLE, fils du duc d'York. MOWBRAY, duc de Norfolk. LE
DUC DE SURREY. LE COMTE DE SALISBURY. LE COMTE DE
BERKLEY[1]. BUSHY, } BAGOT, } créatures du roi Richard.
GREEN, } LE COMTE DE NORTHUMBERLAND. HENRI PERCY,
fils de Northumberland. LORD ROSS. LORD WILLOUGHBY. LORD
FITZWATER. L'ÉVÊQUE DE CARLISLE. L'ABBÉ DE
WESTMINSTER. LE LORD MARÉCHAL. SIR PIERCE D'EXTON.
SIR ÉTIENNE SCROOP. LE CAPITAINE d'une bande de Gallois. LA
REINE, femme de Richard. LA DUCHESSE DE GLOCESTER. LA
DUCHESSE D'YORK. Dames de la suite de la reine. Lords, hérauts,
officiers, soldats, deux jardiniers, un gardien, un messager, un valet
d'écurie, et autres personnes de suite.
[Note 1: On remarque que ce titre de comte de Berkley, donné à lord
Berkley, est un anachronisme, et que les lords Berkley ne furent faits
comtes que dans un temps très-postérieur à celui de Richard.]
La scène se passe successivement dans plusieurs parties de l'Angleterre
et du pays de Galles.
ACTE PREMIER
SCÈNE I.
Londres.--Un
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