de th��atre, parce que le contact des foules agite inexplicablement l'organisme entier, ne pas pouvoir p��n��trer dans une salle de bal parce que la gaiet�� banale et le mouvement tournoyant des valses irrite comme une insulte, se sentir lugubre �� pleurer ou joyeux sans raison suivant la d��coration, les tentures et la d��composition de la lumi��re dans un logis, et rencontrer quelquefois par des combinaisons de perceptions, des satisfactions physiques que rien ne peut r��v��ler aux gens d'organisme grossier, est-ce un bonheur ou un malheur?
Je l'ignore; mais, si le syst��me nerveux n'est pas sensible jusqu'�� la douleur ou jusqu'�� l'extase, il ne nous communique que des commotions moyennes, et des satisfactions vulgaires.
Cette brume de la mer me caressait, comme un bonheur. Elle s'��tendait sur le ciel, et je regardais avec d��lices les ��toiles envelopp��es de ouate, un peu palies dans le firmament sombre et blanchatre. Les c?tes avaient disparu derri��re cette vapeur qui flottait sur l'eau et nimbait les astres.
On e?t dit qu'une main surnaturelle venait d'empaqueter le monde, en des nu��es fines de coton, pour quelque voyage inconnu.
Et tout �� coup, �� travers cette ombre neigeuse, une musique lointaine venue on ne sait d'o��, passa sur la mer. Je crus qu'un orchestre a��rien errait dans l'��tendue pour me donner un concert. Les sons affaiblis, mais clairs, d'une sonorit�� charmante, jetaient par la nuit douce un murmure d'op��ra.
Une voix parla pr��s de moi.
?Tiens, disait un marin, c'est aujourd'hui dimanche et voil�� la musique de San Remo qui joue dans le jardin public.?
J'��coutais, tellement surpris que je me croyais le jouet d'un joli songe. J'��coutai longtemps, avec un ravissement infini, le chant nocturne envol�� �� travers l'espace.
Mais voil�� qu'au milieu d'un morceau il s'enfla, grandit, parut accourir vers nous. Ce fut d'un effet si fantastique et si surprenant que je me dressai pour ��couter. Certes, il venait, plus distinct et plus fort de seconde en seconde. Il venait �� moi, mais comment? Sur quel radeau fant?me allait-il appara?tre? Il arrivait, si rapide, que, malgr�� moi, je regardai dans l'ombre avec des yeux ��mus; et tout �� coup je fus noy�� dans un souffle chaud et parfum�� d'aromates sauvages qui s'��pandait comme un flot plein de la senteur violente des myrtes, des menthes, des citronnelles, des immortelles, des lentisques, des lavandes, des thyms, br?l��s sur la montagne par le soleil d'��t��.
C'��tait le vent de terre qui se levait, charg�� des haleines de la c?te et qui emportait aussi vers le large, en la m��lant �� l'odeur des plantes alpestres, cette harmonie vagabonde.
Je demeurais haletant, si gris�� de sensations, que le trouble de cette ivresse fit d��lirer mes sens. Je ne savais plus vraiment si je respirais de la musique, ou si j'entendais des parfums, ou si je dormais dans les ��toiles.
Cette brise de fleurs nous poussa vers la pleine mer en s'��vaporant par la nuit. La musique alors lentement s'affaiblit, puis se tut, pendant que le bateau s'��loignait dans les brumes.
Je ne pouvais pas dormir, et je me demandais comment un po��te moderniste, de l'��cole dite symboliste, aurait rendu la confuse vibration nerveuse dont je venais d'��tre saisi et qui me para?t, en langage clair, intraduisible. Certes, quelques-uns de ces laborieux exprimeurs de la multiforme sensibilit�� artiste s'en seraient tir��s �� leur honneur, disant en vers euphoniques, pleins de sonorit��s intentionnelles, incompr��hensibles et perceptibles cependant, ce m��lange inexprimable de sons parfum��s, de brume ��toil��e et de brise marine, semant de la musique par la nuit.
Un sonnet de leur grand patron Baudelaire me revint �� la m��moire:
La nature est un temple o�� de vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles. L'homme y passe �� travers des for��ts de symboles Qui l'observent avec des regards familiers.
Comme de longs ��chos qui de loin se confondent Dans une t��n��breuse et profonde unit�� Vaste comme la nuit et comme la clart��, Les parfums, les couleurs et les sons se r��pondent.
Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants, Doux comme les hautbois, verte comme les prairies, --Et d'autres corrompus, riches et triomphants,
Ayant l'expansion des choses infinies Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens, Qui chantent le transport de l'esprit et des sens.
Est-ce que je ne venais pas de sentir jusqu'aux moelles ce vers myst��rieux:
Les parfums, les couleurs et les sons se r��pondent.
Et non seulement ils se r��pondent dans la nature, mais ils se r��pondent en nous et se confondent quelquefois ?dans une t��n��breuse et profonde unit��?, ainsi que le dit le po��te, par des r��percussions d'un organe sur l'autre.
Ce ph��nom��ne, d'ailleurs, est connu m��dicalement. On a ��crit, cette ann��e m��me, un grand nombre d'articles en le d��signant par ces mots: l'Audition color��e.
Il a ��t�� prouv�� que, chez les natures tr��s nerveuses et tr��s surexcit��es, quand un sens re?oit un choc qui l'��meut trop fortement, l'��branlement de cette impression se communique, comme une onde, aux sens
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