vous n'avez pas encore vu votre enfant!... Partir pour la guerre dans des
conditions pareilles, on a vraiment le droit de manquer un peu de ...
VERTILLAC. Commandant, je ne suis probablement pas le seul parmi
les officiers de France et je serais certainement le seul a ne pas tirer
l'epee avec enthousiasme.
CORLAIX [lui serre la main]. Excusez-moi, mon cher, je n'en ai jamais
doute. Je savais que vous diriez cela, mais j'ai voulu me payer la petite
joie de vous l'entendre dire ... Tout de meme vous n'en etes pas moins
papa ... inquiet de personne chez vous? La sante?
VERTILLAC. Mille fois merci, Commandant. La maisonnee se porte
comme le Pont-Neuf.
CORLAIX. Bravo! vrai, ca me fait plaisir! Mon cher, faites-moi
l'amitie de venir dejeuner demain a ma table; nous decoifferons une
bouteille a la sante du nouveau-ne.
VERTILLAC. De tout mon coeur, Commandant.
CORLAIX. Ma femme, Messieurs, cachez-lui votre joie pour ne pas
gater la sienne.
SCENE VII
Les Memes, JEANNE.
JEANNE. Je suis contente, mais contente!
CORLAIX. Birodart, mon vieux ... faites eteindre les feux,
voulez-vous?
BIRODART. A vos ordres, Commandant! [Il se sauve.]
VERTILLAC. Commandant, voulez-vous m'excuser? Un ordre
oublie ... [Il le suit.]
RABEUF. Moi aussi ... Plusieurs ordres!... [Il sort.]
FERGASSOU. Et alors? Ils foutent tous le camp? Commandant! c'est
colossal! Tenez! Laissez faire: je vais leur dire ce que je pense d'eux!
[Il sort egalement.]
[Toutes ces repliques et toutes ces sorties en meme temps et tres vite
dans une gaiete febrile.]
JEANNE [eclatant de rire]. Mais ils sont fous! Tout le croiseur est
devenu subitement fou. Pourquoi se sauvent-ils?
CORLAIX. Je suis le seul qui aie le bonheur d'avoir ma femme a mes
cotes, ce soir ... Ils sont alles ecrire, n'en doutez pas et attendez-vous a
etre chargee d'une infinite de lettres tout a l'heure. [Il sonne.] Ca
devient contagieux! Personne a la timonerie! Il faut pourtant faire
armer le canot a vapeur.
D'ARTELLES. Commandant ...
CORLAIX. Non, mon cher, inutile ... j'ai aussi d'autres ordres a donner.
[Il sort.]
SCENE VIII
JEANNE, D'ARTELLES.
JEANNE. C'est vrai, il faut partir. [Elle cherche son manteau.]
Heureusement que vous me restez fidele, sans cela je ne trouverais
jamais mon manteau.
D'ARTELLES [qui trouve le manteau a l'autre bout de la piece, eclatant
de rire.] Le voila, vous ne bruliez guere.
JEANNE. J'aurais pu chercher longtemps. [D'Artelles l'aide a enfiler
son manteau.] Allons bon! et la manche maintenant! j'ai retrouve mon
manteau, mais j'ai perdu la manche. Cela peut-il vous rendre stupide
une grande joie.
D'ARTELLES. Oh! oui.
JEANNE. Comment oui? Tu n'es pas joyeux, toi?
D'ARTELLES. Par exemple!
JEANNE. Mais puisque c'est la paix!
D'ARTELLES. Ah! en effet. [Joyeusement, malgre lui.] Je ne pensais
plus a ca!...
JEANNE. Pourquoi ris-tu?
D'ARTELLES. Je ne ris pas.
JEANNE. Ah! eh bien, moi je ne ris plus.
D'ARTELLES. Tant pis pour moi. C'etait si charmant, si
communicatif ... Je riais comme un idiot. Pourquoi me demandes-tu?...
He! mon Dieu, parce que, parce que je suis jeune, parce que tu as une
robe adorable, parce que tu es delicieusement jolie ... Voila! Tu me
regardes?
JEANNE. Je ne te reconnais pas. Et tous ces officiers non plus.
D'ARTELLES. Chut! ils ecrivent. Ne les derange pas. Ce sont des
enrages. Tu sais que la marine est notre plus grande ecole de litterature!
JEANNE [qui n'ecoute pas]. Cette depeche ... qu'est-ce qu'elle signifiait
au juste?
D'ARTELLES. He! le commandant te l'a bien dit!
JEANNE [meme jeu]. La paix peut-elle rendre si joyeux des officiers
francais?
D'ARTELLES [tres serieux, maintenant]. Ne les calomnie pas. Tu en
aurais vu bien d'autres si la depeche avait apporte une meilleure
nouvelle. J'en sais quelque chose. Mon pere etait a Saint-Cyr quand la
guerre de 70 eclata. Il m'a raconte souvent ... Ah! je te jure que ce fut
une belle fete. Toute la promotion en meme temps recevait le grade de
sous-lieutenant. Sous-lieutenants tout a coup en pleine bataille!... des
gamins de vingt ans, songe donc!... La grande veine, quoi! Tu ne peux
pas t'imaginer comme ils hurlaient de joie. Immediatement sans qu'on
n'ait jamais pu savoir qui en avait eu l'idee le premier, ils firent un beau
serment de gosses et de Francais. Un serment absurde, mais si beau ...
Celui de charger leur premiere charge en gants blancs et le casoar au
kepi. Toute la journee ce fut un delire indescriptible. C'etait a qui aurait
le premier son galon cousu sur sa manche. Songes-y! un galon qui vous
donne le droit de s'exposer plus que les autres! On se bousculait, on se
battait deja. On parlait sans entendre les reponses. Les petites lingeres
de l'ecole ne savaient ou donner de la tete. Elles cousaient, elles
cousaient des galons sans relache, et le soir, chacune d'elles comptait
plusieurs centaines de

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