francs dans sa poche et plusieurs centaines de
baisers a son cou. Des pourboires tout ca! Ah! comme ca sonnait clair!
la belle musique! les secrets les mieux gardes jusqu'alors on ne peut
plus les tenir. [Prenant les mains de Jeanne.] On est ivre, on est fou!
JEANNE. Georges!
D'ARTELLES. Pardonne-moi ... J'ai perdu la tete ... Je m'etais jure de
ne rien changer aux choses. Tu ne t'etais pas apercue ...
JEANNE. C'est la guerre. [Passant la main sur le front de d'Artelles et
le regardant avec une infinie pitie.] La guerre! et tu vas partir ...
LA VOIX DE DAGORNE [par l'entrebaillement de la porte]. La canot
a vapeur est pare.
[La porte se referme. Jeanne et d'Artelles se sont separes.]
JEANNE. Moi aussi, il faut que je parte et peut-etre que jamais ...
[Elle n'a pas le courage d'achever.]
D'ARTELLES. Non! cela serait une trop grande injustice! Tu ne peux
pas t'en aller ainsi!... Tiens, je t'en supplie ... Il est dix heures: a onze
heures, le canot a vapeur doit retourner a terre pour le service ... c'est
moi qui l'expedierai, personne ne sera la ... donne-moi cette heure-la,
cette toute petite heure ... Ne dis pas non!
JEANNE. Tu sais bien que c'est une chose impossible.
D'ARTELLES. Mais non! sous la capote du canot qui peut voir s'il y a
une femme ou deux? Ne dis pas non tout de suite. Une ruse
quelconque ... un objet oublie, par exemple ... Tout le monde court a sa
recherche ... Tu restes seule sur le pont. Libre!
JEANNE. Assez!
D'ARTELLES. Ma chambre est juste en face de l'echelle du panneau
des officiers. D'ailleurs, tu connais le croiseur ... Je t'en supplie, si j'ai
merite un beau souvenir, fais qu'il n'y ait qu'une femme tout a l'heure,
sous la capote du canot, et cela est facile avec la complicite de ta soeur.
Dans une heure, tu repartiras sans que personne t'ai vue. Songe que
peut-etre jamais ...
JEANNE. Oh! tais-toi!
SCENE IX
Les Memes, ALICE, puis FERGASSOU.
ALICE [un paquet de lettres a la main]. Onze lettres! je suis le
vaguemestre de l'Alma, le croiseur le plus ecrivassier de France. [A
Jeanne.] Tu es prete? Tout le monde attend a la coupee. [Elle s'habille.]
FERGASSOU [entrant, une lettre a la main]. Mademoiselle Perlet est
ici?... Eh! oui donc! c'est vous qui vous chargez de la corvee?
ALICE [prenant la lettre]. La douzaine! A la bonne heure!
FERGASSOU. Voila comme nous sommes. Surtout ne lisez pas les
adresses, vous en apprendriez des choses!
ALICE. Soyez tranquille! en route.
[Jeanne toute indecise, tres emue, echange un long regard avec
d'Artelles, puis elle laisse tomber son sac dans une potiche sur la
cheminee.]
JEANNE [a Alice]. Viens.
ALICE [qui a vu le jeu de scene]. Ton sac?
JEANNE [bas]. Laisse, laisse. Tais-toi. Il faut que je te parle. [A
Fergassou]. Au revoir. Commandant.
FERGASSOU. Mais ...
JEANNE. Non, non, je vous en prie, ne bougez pas. Je veux que vous
restiez ici.
FERGASSOU. A vos ordres, Madame.
JEANNE [a d'Artelles]. Monsieur ... [D'Artelles s'incline.]
ALICE [qui suit Jeanne, bas]. Eh bien?
JEANNE [bas]. Viens, ma grande ...
[Elles sortent.]
SCENE X
D'ARTELLES, FERGASSOU, puis BIRODART, puis VERTILLAC,
puis RABEUF, puis CORLAIX.
FERGASSOU. Savez-vous pourquoi elles complotent comme ca, ces
petites femmes! He! pardi, c'est pour faire les adieux au mari sans qu'il
y ait un public de tous les diables!
D'ARTELLES [inquiet]. Ils sont tous la-haut?
FERGASSOU. Evidemment. Ils n'ont pas de tact. Les femmes,
voyez-vous [d'Artelles qui ne l'ecoute pas, prete l'oreille aux bruits du
dehors. Fergassou le prend par le bouton de sa veste]. Conference,
petite conference. Nos femmes de France, voyez-vous, elles n'ont pas
leurs pareilles; j'en ai connu de toutes les couleurs et de tous les sexes:
de ces Congolaises qui vous donnent la chair de poule, comme les nuits
sans etoiles, de ces Kabyles avec des seins comme des piquants qu'on a
envie d'y accrocher son chapeau, de ces petites mecaniques de
Japonaises toutes en cire et meme des Laponnes qui semblent des
chiens bassets trottant sur leurs pattes de derriere ... Eh! bien,
savez-vous quelle est celle qui m'a encore le mieux trompe? Mon cher,
c'est une Auvergnate. Chaque fois qu'elle m'avait fait bien cocu,--je ne
sais pas si je me fais comprendre,--mais la, bien comme il faut, elle
s'arrangeait de telle facon que c'etait encore moi, benet qui devais la
consoler. Ah! nos femmes de France! Bon Diou!
BIRODART [entrant]. Madame de Corlaix a laisse son sac quelque part,
vous ne l'avez pas vu, d'Artelles?
D'ARTELLES. Non.
VERTILLAC [entrant]. Le sac doit etre sous les coussins du divan.
Madame Corlaix croit se rappeler. [Les coussins sont retournes.]
RABEUF [entrant]. Non, pas sous les coussins, par terre, sous les tapis
du bridge.
FERGASSOU [qui regarde].

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