La veille darmes - Piece en cinq actes | Page 6

Claude et Lucien Nepoty Farrere
sont mal
trouves. Ils cherchaient a se faire aimer ... ils se font fait
mepriser ...berner ...
CORLAIX. Diable de diable!... A ce point?...
BRAMBOURG. Commandant, vous vous moquez de moi ... Mais cette
fois, vous avez tort ... Je pourrais citer des cas ... j'en sais de
lamentables ...
CORLAIX. Citez, mon cher, citez!...
BRAMBOURG. A quoi bon, Commandant?... La liste est trop longue
des hommes de coeur bafoues par la canaille ...
CORLAIX. Ma foi! vous etes trop jeune pour avoir souvent voyage et
tout de meme vous etes revenu de beaucoup de pays.
BRAMBOURG. Oh! je n'ai pas besoin de quitter la France ... ni meme
Toulon ... Des soldats qui carottent leurs officiers?... des valets qui
pillent leurs maitres.?... des femmes qui trompent leurs maris?... que
diable n'a pas vu cela partout et mille et dix mille fois!
CORLAIX. C'est toujours instructif a rappeler ... quand c'est a propos.
BRAMBOURG [qui poursuit]. Il n'y a pas si longtemps que je l'ai vu.
CORLAIX. Ou?
BRAMBOURG. Dans ma propre famille.
CORLAIX. Il vous est peut-etre penible de remuer ...
BRAMBOURG. C'est une vieille histoire ... et d'ailleurs une histoire
tres laide!... l'histoire d'un de mes oncles que j'aimais beaucoup et qui
etait vraiment un brave homme ... un homme excellent ... non sans
valeur ma foi ... il n'etait plus jeune ... mais il etait encore loin d'etre
vieux ... [Corlaix allume une cigarette et n'en offre pas a Brambourg.]
Bref, un vilain jour ... oh! il y a longtemps de cela: j'avais dix ou douze
ans, lui quarante ou cinquante, un vilain jour, la fantaisie le prit de se

marier ... Il avait vecu seul jusqu'alors, mais sa solitude lui pesa tout a
coup. Dieu sait pourquoi. Il crut tres bien faire en epousant une femme
jeune et jolie qui, d'ailleurs, lui temoignait, parait-il, beaucoup d'amitie.
CORLAIX. Ah! bah! il crut bien faire?
BRAMBOURG. Il faut croire puisque ... mais la suite prouva qu'il avait
mal fait! Je ne sais pas si je vous ai dit que mon oncle etait un homme
bon ... indulgent ... indulgent a l'exces.
CORLAIX. Je l'avais devine.
BRAMBOURG. Sa femme n'etait pas une mauvaise femme, mais
c'etait une femme jeune et jolie ... Vous voyez cela d'ici, une jeune et
jolie femme au bras d'un mari trop bon ... trop indulgent ... et pour
comble trop vieux ... Je veux dire trop vieux pour elle.
CORLAIX. Tout est relatif en ce bas monde.
BRAMBOURG. Donc, ma jeune et jolie tante n'avait pas epouse mon
brave homme d'oncle depuis cinq minutes que tout chacun lui faisait la
cour.
CORLAIX. Il y a tant de goujats ...
BRAMBOURG. D'accord. Et c'est au mari de veiller. Et mon oncle n'y
veilla point ... n'y veilla jamais. Il y a des aveugles de naissance et des
aveugles par accident. Mon brave homme d'oncle etait aveugle par
vocation.
CORLAIX. Monsieur votre oncle m'interesse mysterieusement. Sa
jeune et jolie femme, Madame votre tante ... que fit-elle, en fin de
compte de sa vieille bete de mari?
BRAMBOURG. Elle le respecta trois ou quatre semaines ... elle lui fut
fidele trois ou quatre mois ... et puis ...
CORLAIX. Et puis?
BRAMBOURG. Et puis elle le berna ... je veux dire qu'elle prit un
amant.
CORLAIX. J'avais compris.
BRAMBOURG. Un garcon charmant, d'ailleurs ... jeune et joli comme
elle-meme. Mon oncle l'adorait et je jurait que par lui.
CORLAIX. Tiens, tiens, tiens, tiens!
BRAMBOURG. Mon oncle sut bientot a quoi s'en tenir.
CORLAIX. Vous m'etonnez. Je me suis laisse dire que les maris
trompes ne savent jamais ...
BRAMBOURG. Mon oncle avait des amis qui ne voulurent pas etre

complices.
CORLAIX. Vous m'en direz tant.
BRAMBOURG. Bref, il fut averti ... oh! discretement ... la puce a
l'oreille ... Mais il n'y a que le premier soupcon qui coute.
CORLAIX [entre ses dents]. Vous croyez?
BRAMBOURG. Mon oncle, bon gre mal gre, sut par consequent tout
ce qu'il devait savoir. Mais il etait aveugle par vocation, et il avait trop
aime sa femme innocente ... il continua a l'aimer coupable ... Elle,
inquiete d'abord ... puis etonnee ... puis vexee ... humiliee, puis
meprisante ... eut tot fait de s'enfuir avec son amant quelques six
semaines plus tard ... et en claquant les portes ... Pour avoir ete un mari
trop debonnaire ... le pauvre homme perdit ainsi d'un coup honneur et
bonheur. Il mourut deux ou trois ans plus tard.
CORLAIX. Tant mieux pour lui. Et je l'en felicite. [Silence.] A propos,
l'histoire est terminee?
BRAMBOURG. Mais oui.
CORLAIX. Vous ne vous rappelez pas d'autres details?... Par exemple,
sur ces excellents amis de Monsieur votre oncle ... ces admirables
amis ... qui ne voulurent pas etre complices?...
BRAMBOURG. Ma foi, je vous avoue ...
CORLAIX. Dommage! je m'y
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 38
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.