La veille darmes - Piece en cinq actes | Page 5

Claude et Lucien Nepoty Farrere
jamais,
excusez-moi. [Appelant par le rideau.] Monsieur d'Artelles?
BRAMBOURG [se levant]. Pardi!
[Jeanne se retourne vivement vers Brambourg. Corlaix entre, il les
examine l'un apres l'autre.]

SCENE III
Les Memes, CORLAIX, D'ARTELLES [entre a la suite de Corlaix]
CORLAIX. Qu'y a-t-il, Jeanne? [Jeanne fait "non" de la tete.]
JEANNE. Rien du tout. Monsieur d'Artelles, voulez-vous me conduire
sur le pont. J'ai besoin d'air.
[Sortent Jeanne et d'Artelles.]
SCENE IV
CORLAIX, BRAMBOURG [Un temps. Brambourg esquisse un depart
vers le rideau. Corlaix l'appelle.]
CORLAIX. Brambourg?
BRAMBOURG. Commandant?
CORLAIX [cherchant dans ses papiers, sur son bureau]. Au rapport,

j'ai trouve un motif de punition ... [Il trouve le rapport.] Voila! [Il le
parcourt.] Fichtre! comme vous y allez! Pourtant Dagorne est un bon
sujet. Ah! vous savez les rediger, vous, les motifs, les motifs qui font
des petits.
BRAMBOURG. Mon Dieu, Commandant ...
CORLAIX. Mon Dieu, oui, un commandant qui punirait sans enquete,
tarif d'une main, motif de l'autre ... ma foi, je crois bien que ce
commandant flanquerait a ce pauvre diable trente jours de prison
effective ... le maximum, vous ne croyez pas, vous?
BRAMBOURG. Trente jours ... c'est beaucoup.
CORLAIX. Disons meme que c'est trop. En somme, quoi? Il a parle a
haute voix sur la passerelle, Dagorne? et c'est a peu pres tout ... Parler
sur la passerelle, ca merite bien ... voyons, deux jours ... de police ... de
police simple, s'entend! avec sursis.
BRAMBOURG. Sursis?
CORLAIX. J'en etais sur? Vous trouvez maintenant que c'est peu, la ...
Vous voyez bien que vous etes feroce.
BRAMBOURG. Mais je vous assure que non, Commandant ... je serais
plutot le contraire.
CORLAIX. Fichtre!... Debonnaire alors?
BRAMBOURG. Ma foi oui, je me vois assez comme ca.
CORLAIX. Ca ne m'etonne pas. Je parie que les tigres s'estiment bons
comme pain et les moutons mechants comme gale.
BRAMBOURG. Il y a du pour et du contre, c'est selon.
CORLAIX. Selon quoi?
[Brambourg: geste.]
CORLAIX. Dites-le donc.
BRAMBOURG. Commandant, je ne me permettrais pas de discuter ...
CORLAIX. Pourquoi cela? Mes cinq galons vous impressionnent.
BRAMBOURG. Il y a un peu de cela.
CORLAIX. Sapristi! mon cher, vous etes marin comme moi, je
suppose et vous vous inquietez de galons?... Nous, marins, qui avons
cet avantage inoui de jouir d'une discipline alerte et souriante, d'une
bonne fille de discipline sans raideur et sans facon ... d'une discipline
joyeuse, paternelle ... et forte tout de meme ... et sure ... nous qui
jouissons de cela, nous n'allons pourtant pas y renoncer, hein? nous
n'allons pourtant pas les jeter par-dessus bord ... ce serait moi foi trop

bete! et puisque la mer nous permet de bavarder ici, vous et moi, d'egal
a egal ... puisque vous avez le droit, puisque vous avez le devoir de me
dire en face: "Je ne suis pas de votre avis, vous avez tort!" puisque vous
devez me dire cela, sapristi! dites-le moi ... si vous le pensez. Voyons,
mon ami, dites-le moi donc.
BRAMBOURG. Dame.
CORLAIX. Je vous en prie.
BRAMBOURG. Eh bien, Commandant ... vous etes, vous pour
l'indulgence contre la severite, et vous avez raison, vous, parce que
vous etes, vous, un cas particulier.
CORLAIX. C'est bien de l'honneur. Je me serais cru un cas tout a fait
general.
BRAMBOURG. Oh! Commandant! vous etes excessivement modeste.
Un officier comme vous ...
CORLAIX. C'est entendu. Si cela vous est egal, passons aux officiers ...
pas comme moi?
BRAMBOURG [s'inclinant]. C'est justement a eux que je voulais en
venir ... Je me trompe peut-etre, mais j'imagine que ces officiers-la ne
pourraient etre comme vous ... pour l'indulgence contre la severite ...
sans inconvenients majeurs.
CORLAIX. Quels inconvenients?
BRAMBOURG. Il n'en manque pas.
CORLAIX. Par exemple!
BRAMBOURG. C'est delicat.
CORLAIX. Si vous craignez que je ne comprenne pas ...
BRAMBOURG. Voyons, Commandant!
CORLAIX. Vous hesitez tellement!
BRAMBOURG. J'ai peur de m'expliquer tres mal.
CORLAIX. Vous avez pourtant la langue assez bien pendue.
BRAMBOURG. Voyez! Commandant! vous etes toujours pour
l'indulgence.
CORLAIX. Brambourg!... Voyons?... Elle a donc peur du clair de lune,
votre idee de derriere la tete que vous n'osez la sortir.
BRAMBOURG. Je n'ai aucune idee de derriere la tete et d'ailleurs rien
n'est plus simple au fond. Si j'etais indulgent, moi, comme vous l'etes,
vous, mon indulgence courrait grand risque d'etre prise pour de la
faiblesse et peut-etre pour de la complaisance.

CORLAIX. Par qui?
BRAMBOURG. Par tout le monde.
CORLAIX. C'est beaucoup de monde! vos subordonnes ... vos
superieurs.
BRAMBOURG. Tout le monde. [Silence. Il continue apres avoir
hesite.] Et sur terre comme sur mer ... Il y a naturellement des hommes
privilegies ... ceux dont le merite ...
CORLAIX. C'est entendu. Mais les autres hommes?
BRAMBOURG. Les autres hommes? Dame, j'en sais qui ont voulu
tenter l'aventure d'etre bons ... d'etre trop bons ... et qui s'en
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 38
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.