La veille darmes - Piece en cinq actes | Page 7

Claude et Lucien Nepoty Farrere
le resultat. Jeanne cause avec d'Artelles a l'autre bout de la scene.]
FERGASSOU. Ah! de cette guerre tout de meme!
JEANNE. Est-ce un long dechiffrage?
D'ARTELLES. Non, Madame, le commandant est tres habile.
JEANNE. Eh bien, Fred, ou en etes-vous?
FERGASSOU. Oh! c'est tres interessant. [Il lit pardessus l'epaule de Corlaix.] Marine Paris a vice-amiral Austerlitz pour contre-amiral Fontenoy et capitaine de vaisseau Alma.
JEANNE. Apres?
FERGASSOU. C'est tout pour l'instant. Le reste est encore dans l'oeuf.
JEANNE. C'est interminable!
FERGASSOU. He! he! il faut le temps.
JEANNE. Au moins, vous, Monsieur d'Artelles, vous etes gentil, vous ne croyez pas a la guerre.
D'ARTELLES. Dites, pour etre plus exacte que je n'ose pas l'esperer.
JEANNE. Ne parlez pas ainsi.
D'ARTELLES. Si je parlais autrement, vous me mepriseriez. Alors, j'aime mieux dire la verite. C'est que vous etes une Francaise, Madame, et vous verrez que les Francaises seront plus heroiques encore que ces Lacedemoniennes si vantees, qui faisaient des mots historiques au depart des guerriers ... vous verrez ... vous verrez ... Elles embrasseront tout simplement leur mari, leurs freres ... et elles se tairont ... Ce sera beaucoup plus beau.
[Pendant ce colloque, sur un signe de Fergassou, tous les officiers se sont groupes derriere Corlaix pour suivre le dechiffrage avec anxiete. Maintenant le dechiffrage est fini. Sensation. Les visages des jeunes rayonnent. Les vieux sont plus graves. Corlaix fait signe de se taire en montrant Jeanne.]
JEANNE. C'est fini!... Eh bien, Fred?
CORLAIX. Oh! depeche banale ... [Il lit.] Marine ... Paris.., etc ... Dispositions prevues par precedents telegrammes numeros 457 et 462 desormais sans objet aucun navire ne devant se rendre a Bizerte jusqu'a nouvel ordre; faites immediatement eteindre ses feux au croiseur Alma et rentrez dans le service normal. Transmettez. Accusez reception.
JEANNE. Mais c'est le contre-ordre expres, cela?... Vous ne partez plus. L'Alma reste a Toulon. Alors, c'est la paix? Evidemment, puisque vous ne partez plus. Eh bien, Fred, vous ne dites rien?
CORLAIX. C'est le contre-ordre, en effet.
JEANNE. Donc, la paix?
CORLAIX [breve hesitation]. Heu ... vous l'avez dit.
JEANNE. La paix!... [Courant dans une grande joie, vers le fond.] Alice! Alice!... ou est-elle encore?... Elle est insupportable! Alice, c'est la paix. [Elle sort en coup de vent dans la coulisse.] C'est la paix!...
[Tous suivent sa sortie des yeux. D'Artelles ferme la porte derriere elle, attend qu'elle se soit eloignee, puis se retourne brusquement.]
D'ARTELLES. Messieurs, tous ensemble ... hip! hip! hip!
TOUS. Hurrah!

SCENE VI
Les Memes, moins JEANNE.
[Grande joie. On se donne des grandes tapes sur les epaules. On se serre les mains. On rit sans motif.]
CORLAIX. Doucement, Messieurs, ce n'est encore qu'une esperance.
FERGASSOU. Basee sur un fait.
CORLAIX. Je le reconnais.
BIRODART. Si on nous garde a Toulon ...
VERTILLAC. C'est qu'on a besoin de nous.
D'ARTELLES. On veut que la division des croiseurs rapides soit au complet.
VERTILLAC. Ce que mes canons seraient contents s'ils savaient ca!
CORLAIX [a Vertillac]. J'y pense, ca ne doit pas vous aller plus qu'il ne faut, a vous?
VERTILLAC. Pourquoi donc?
CORLAIX. Parce que Madame Vertillac vient d'accoucher ... parce que vous n'avez pas encore vu votre enfant!... Partir pour la guerre dans des conditions pareilles, on a vraiment le droit de manquer un peu de ...
VERTILLAC. Commandant, je ne suis probablement pas le seul parmi les officiers de France et je serais certainement le seul a ne pas tirer l'epee avec enthousiasme.
CORLAIX [lui serre la main]. Excusez-moi, mon cher, je n'en ai jamais doute. Je savais que vous diriez cela, mais j'ai voulu me payer la petite joie de vous l'entendre dire ... Tout de meme vous n'en etes pas moins papa ... inquiet de personne chez vous? La sante?
VERTILLAC. Mille fois merci, Commandant. La maisonnee se porte comme le Pont-Neuf.
CORLAIX. Bravo! vrai, ca me fait plaisir! Mon cher, faites-moi l'amitie de venir dejeuner demain a ma table; nous decoifferons une bouteille a la sante du nouveau-ne.
VERTILLAC. De tout mon coeur, Commandant.
CORLAIX. Ma femme, Messieurs, cachez-lui votre joie pour ne pas gater la sienne.

SCENE VII
Les Memes, JEANNE.
JEANNE. Je suis contente, mais contente!
CORLAIX. Birodart, mon vieux ... faites eteindre les feux, voulez-vous?
BIRODART. A vos ordres, Commandant! [Il se sauve.]
VERTILLAC. Commandant, voulez-vous m'excuser? Un ordre oublie ... [Il le suit.]
RABEUF. Moi aussi ... Plusieurs ordres!... [Il sort.]
FERGASSOU. Et alors? Ils foutent tous le camp? Commandant! c'est colossal! Tenez! Laissez faire: je vais leur dire ce que je pense d'eux! [Il sort egalement.]
[Toutes ces repliques et toutes ces sorties en meme temps et tres vite dans une gaiete febrile.]
JEANNE [eclatant de rire]. Mais ils sont fous! Tout le croiseur est devenu subitement fou. Pourquoi se sauvent-ils?
CORLAIX. Je suis le seul qui aie le bonheur d'avoir ma femme a mes cotes, ce soir ... Ils sont alles ecrire, n'en doutez pas et attendez-vous a etre chargee d'une infinite de lettres tout a l'heure. [Il sonne.] Ca devient contagieux! Personne a la timonerie! Il faut pourtant faire armer le canot a vapeur.
D'ARTELLES. Commandant ...
CORLAIX. Non, mon cher, inutile ... j'ai aussi
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