pas a Brambourg.] Bref, un vilain jour ... oh! il y a longtemps de cela: j'avais dix ou douze ans, lui quarante ou cinquante, un vilain jour, la fantaisie le prit de se marier ... Il avait vecu seul jusqu'alors, mais sa solitude lui pesa tout a coup. Dieu sait pourquoi. Il crut tres bien faire en epousant une femme jeune et jolie qui, d'ailleurs, lui temoignait, parait-il, beaucoup d'amitie.
CORLAIX. Ah! bah! il crut bien faire?
BRAMBOURG. Il faut croire puisque ... mais la suite prouva qu'il avait mal fait! Je ne sais pas si je vous ai dit que mon oncle etait un homme bon ... indulgent ... indulgent a l'exces.
CORLAIX. Je l'avais devine.
BRAMBOURG. Sa femme n'etait pas une mauvaise femme, mais c'etait une femme jeune et jolie ... Vous voyez cela d'ici, une jeune et jolie femme au bras d'un mari trop bon ... trop indulgent ... et pour comble trop vieux ... Je veux dire trop vieux pour elle.
CORLAIX. Tout est relatif en ce bas monde.
BRAMBOURG. Donc, ma jeune et jolie tante n'avait pas epouse mon brave homme d'oncle depuis cinq minutes que tout chacun lui faisait la cour.
CORLAIX. Il y a tant de goujats ...
BRAMBOURG. D'accord. Et c'est au mari de veiller. Et mon oncle n'y veilla point ... n'y veilla jamais. Il y a des aveugles de naissance et des aveugles par accident. Mon brave homme d'oncle etait aveugle par vocation.
CORLAIX. Monsieur votre oncle m'interesse mysterieusement. Sa jeune et jolie femme, Madame votre tante ... que fit-elle, en fin de compte de sa vieille bete de mari?
BRAMBOURG. Elle le respecta trois ou quatre semaines ... elle lui fut fidele trois ou quatre mois ... et puis ...
CORLAIX. Et puis?
BRAMBOURG. Et puis elle le berna ... je veux dire qu'elle prit un amant.
CORLAIX. J'avais compris.
BRAMBOURG. Un garcon charmant, d'ailleurs ... jeune et joli comme elle-meme. Mon oncle l'adorait et je jurait que par lui.
CORLAIX. Tiens, tiens, tiens, tiens!
BRAMBOURG. Mon oncle sut bientot a quoi s'en tenir.
CORLAIX. Vous m'etonnez. Je me suis laisse dire que les maris trompes ne savent jamais ...
BRAMBOURG. Mon oncle avait des amis qui ne voulurent pas etre complices.
CORLAIX. Vous m'en direz tant.
BRAMBOURG. Bref, il fut averti ... oh! discretement ... la puce a l'oreille ... Mais il n'y a que le premier soupcon qui coute.
CORLAIX [entre ses dents]. Vous croyez?
BRAMBOURG. Mon oncle, bon gre mal gre, sut par consequent tout ce qu'il devait savoir. Mais il etait aveugle par vocation, et il avait trop aime sa femme innocente ... il continua a l'aimer coupable ... Elle, inquiete d'abord ... puis etonnee ... puis vexee ... humiliee, puis meprisante ... eut tot fait de s'enfuir avec son amant quelques six semaines plus tard ... et en claquant les portes ... Pour avoir ete un mari trop debonnaire ... le pauvre homme perdit ainsi d'un coup honneur et bonheur. Il mourut deux ou trois ans plus tard.
CORLAIX. Tant mieux pour lui. Et je l'en felicite. [Silence.] A propos, l'histoire est terminee?
BRAMBOURG. Mais oui.
CORLAIX. Vous ne vous rappelez pas d'autres details?... Par exemple, sur ces excellents amis de Monsieur votre oncle ... ces admirables amis ... qui ne voulurent pas etre complices?...
BRAMBOURG. Ma foi, je vous avoue ...
CORLAIX. Dommage! je m'y interessais, moi, a ces amis ... a ces bons amis, honnetes gens ... sinceres ... l'histoire est vraiment finie? Brambourg, vous etes bien de service, ce soir?
BRAMBOURG. Mais oui, Commandant, je suis de garde.
CORLAIX. En ce cas, faites-moi donc le plaisir d'aller donner un coup d'oeil personnel ... verifier qu'un homme est reellement eveille dans chaque armement ... faire une ronde dans tout le batiment ... de l'avant a l'arriere comme c'est votre devoir et ne revenez qu'apres avoir bien verifie que tout est a poste et en ordre.
BRAMBOURG. Tres bien, Commandant!
[Il sort, Corlaix hausse les epaules et jette sa cigarette. Un temps.]
SCENE V
CORLAIX, JEANNE, D'ARTELLES, DAGORNE, puis VERTILLAC, RABEUF, BIRODART, FERGASSOU.
JEANNE. Fred, un T.S.F.
DAGORNE [sur le seuil de la porte]. La telegraphie sans fil vient de recevoir ca, Commandant.
CORLAIX. Merci, Dagorne.
[Dagorne salue et sort.]
JEANNE. Lisez vite. C'est peut-etre une bonne nouvelle ... Pourquoi me regardez-vous ainsi, Fred?
CORLAIX. Parce que vos yeux me font du bien. Ah! ils ne sont pas chiffres, eux! Pas besoin de dictionnaire. Seulement que de choses ils n'ont pas encore vues ces yeux-la!... Toutes ces vilaines betes sournoises qui trainent autour de nous. Comme ils regardent franc et clair! Jeanne, gardez-moi toujours ces yeux-la! ce sont mes meilleurs amis. Au travail! [Aussitot entre d'Artelles est alle derriere le rideau porter la nouvelle de la depeche. Vertillac entre suivi des autres officiers. L'un d'eux ouvrira completement le rideau.]
FERGASSOU. Une depeche, Commandant?
RABEUF. Une depeche! diable!
CORLAIX. Vertillac, le D.C.C. s'il vous plait. [Il s'installe devant son bureau et commence le dechiffrage. Fergassou lit par-dessus son epaule. Les autres officiers groupes a l'ecart attendent
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.