Disons meme que c'est trop. En somme, quoi? Il a parle a haute voix sur la passerelle, Dagorne? et c'est a peu pres tout ... Parler sur la passerelle, ca merite bien ... voyons, deux jours ... de police ... de police simple, s'entend! avec sursis.
BRAMBOURG. Sursis?
CORLAIX. J'en etais sur? Vous trouvez maintenant que c'est peu, la ... Vous voyez bien que vous etes feroce.
BRAMBOURG. Mais je vous assure que non, Commandant ... je serais plutot le contraire.
CORLAIX. Fichtre!... Debonnaire alors?
BRAMBOURG. Ma foi oui, je me vois assez comme ca.
CORLAIX. Ca ne m'etonne pas. Je parie que les tigres s'estiment bons comme pain et les moutons mechants comme gale.
BRAMBOURG. Il y a du pour et du contre, c'est selon.
CORLAIX. Selon quoi?
[Brambourg: geste.]
CORLAIX. Dites-le donc.
BRAMBOURG. Commandant, je ne me permettrais pas de discuter ...
CORLAIX. Pourquoi cela? Mes cinq galons vous impressionnent.
BRAMBOURG. Il y a un peu de cela.
CORLAIX. Sapristi! mon cher, vous etes marin comme moi, je suppose et vous vous inquietez de galons?... Nous, marins, qui avons cet avantage inoui de jouir d'une discipline alerte et souriante, d'une bonne fille de discipline sans raideur et sans facon ... d'une discipline joyeuse, paternelle ... et forte tout de meme ... et sure ... nous qui jouissons de cela, nous n'allons pourtant pas y renoncer, hein? nous n'allons pourtant pas les jeter par-dessus bord ... ce serait moi foi trop bete! et puisque la mer nous permet de bavarder ici, vous et moi, d'egal a egal ... puisque vous avez le droit, puisque vous avez le devoir de me dire en face: "Je ne suis pas de votre avis, vous avez tort!" puisque vous devez me dire cela, sapristi! dites-le moi ... si vous le pensez. Voyons, mon ami, dites-le moi donc.
BRAMBOURG. Dame.
CORLAIX. Je vous en prie.
BRAMBOURG. Eh bien, Commandant ... vous etes, vous pour l'indulgence contre la severite, et vous avez raison, vous, parce que vous etes, vous, un cas particulier.
CORLAIX. C'est bien de l'honneur. Je me serais cru un cas tout a fait general.
BRAMBOURG. Oh! Commandant! vous etes excessivement modeste. Un officier comme vous ...
CORLAIX. C'est entendu. Si cela vous est egal, passons aux officiers ... pas comme moi?
BRAMBOURG [s'inclinant]. C'est justement a eux que je voulais en venir ... Je me trompe peut-etre, mais j'imagine que ces officiers-la ne pourraient etre comme vous ... pour l'indulgence contre la severite ... sans inconvenients majeurs.
CORLAIX. Quels inconvenients?
BRAMBOURG. Il n'en manque pas.
CORLAIX. Par exemple!
BRAMBOURG. C'est delicat.
CORLAIX. Si vous craignez que je ne comprenne pas ...
BRAMBOURG. Voyons, Commandant!
CORLAIX. Vous hesitez tellement!
BRAMBOURG. J'ai peur de m'expliquer tres mal.
CORLAIX. Vous avez pourtant la langue assez bien pendue.
BRAMBOURG. Voyez! Commandant! vous etes toujours pour l'indulgence.
CORLAIX. Brambourg!... Voyons?... Elle a donc peur du clair de lune, votre idee de derriere la tete que vous n'osez la sortir.
BRAMBOURG. Je n'ai aucune idee de derriere la tete et d'ailleurs rien n'est plus simple au fond. Si j'etais indulgent, moi, comme vous l'etes, vous, mon indulgence courrait grand risque d'etre prise pour de la faiblesse et peut-etre pour de la complaisance.
CORLAIX. Par qui?
BRAMBOURG. Par tout le monde.
CORLAIX. C'est beaucoup de monde! vos subordonnes ... vos superieurs.
BRAMBOURG. Tout le monde. [Silence. Il continue apres avoir hesite.] Et sur terre comme sur mer ... Il y a naturellement des hommes privilegies ... ceux dont le merite ...
CORLAIX. C'est entendu. Mais les autres hommes?
BRAMBOURG. Les autres hommes? Dame, j'en sais qui ont voulu tenter l'aventure d'etre bons ... d'etre trop bons ... et qui s'en sont mal trouves. Ils cherchaient a se faire aimer ... ils se font fait mepriser ...berner ...
CORLAIX. Diable de diable!... A ce point?...
BRAMBOURG. Commandant, vous vous moquez de moi ... Mais cette fois, vous avez tort ... Je pourrais citer des cas ... j'en sais de lamentables ...
CORLAIX. Citez, mon cher, citez!...
BRAMBOURG. A quoi bon, Commandant?... La liste est trop longue des hommes de coeur bafoues par la canaille ...
CORLAIX. Ma foi! vous etes trop jeune pour avoir souvent voyage et tout de meme vous etes revenu de beaucoup de pays.
BRAMBOURG. Oh! je n'ai pas besoin de quitter la France ... ni meme Toulon ... Des soldats qui carottent leurs officiers?... des valets qui pillent leurs maitres.?... des femmes qui trompent leurs maris?... que diable n'a pas vu cela partout et mille et dix mille fois!
CORLAIX. C'est toujours instructif a rappeler ... quand c'est a propos.
BRAMBOURG [qui poursuit]. Il n'y a pas si longtemps que je l'ai vu.
CORLAIX. Ou?
BRAMBOURG. Dans ma propre famille.
CORLAIX. Il vous est peut-etre penible de remuer ...
BRAMBOURG. C'est une vieille histoire ... et d'ailleurs une histoire tres laide!... l'histoire d'un de mes oncles que j'aimais beaucoup et qui etait vraiment un brave homme ... un homme excellent ... non sans valeur ma foi ... il n'etait plus jeune ... mais il etait encore loin d'etre vieux ... [Corlaix allume une cigarette et n'en offre
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