exemple, ce soir, je l'ai decouvert tout de suite en entrant, mon petit detail, et il est particulierement joli. [S'approchant encore de Jeanne qui regarde par le sabord et semble ne pas l'ecouter.] Savez-vous, Madame, pourquoi cette grande mer a ete creee, pourquoi cette enorme masse sombre pleine de lueurs?... Non? Tout simplement pour qu'un reflet bleu, si leger qu'il est a peine perceptible, frissonne ... sur la courbe blanche de votre epaule. [Geste de pudeur de Jeanne. Elle se leve et s'eloigne de lui.]
JEANNE. Monsieur ... vous n'etes pas au bridge?...
BRAMBOURG. Pas encore. J'attends. Je ne me presse jamais. Pas seulement quand il s'agit de bridge, mais aussi des autres jeux, meme le plus grand de tous: la vie. Oui, j'ai la fatuite de croire que mon tour viendra toujours et cela me donne une grande patience. Les rebuffades me font moins de mal. J'espere, j'attends ... Oui, c'est bien cela! j'attends. C'est delicieux de consoler.
JEANNE. Consoler?
BRAMBOURG. Consoler.
JEANNE [changeant de ton]. Monsieur Brambourg, je vais vous faire un aveu: je suis tres sotte.
BRAMBOURG [se recriant]. Oh!
JEANNE. Si, si. Je me connais bien, allez. Et la preuve, c'est que je ne vous comprends pas. Vous croyez avoir affaire a une Parisienne. J'ai ete elevee a la campagne, puis j'ai vecu en province. Toutes les finesses m'echappent. Avec moi, il faut parler franchement, brutalement, sans reticences.
BRAMBOURG. Encourage comme je le suis ...
JEANNE. Il est possible que je sois injuste. Il y a peut-etre un malentendu entre nous. Dissipons-le une bonne fois, voulez-vous?
BRAMBOURG. Vous me traitez en ennemi.
JEANNE. J'ai tort. Asseyons-nous. [Elle s'assied devant le bureau.] Causons gentiment, comme des camarades. [Regard de Brambourg vers le rideau.] Oh! ils ne s'occupent pas de nous. [Riant.] Nous sommes bien seuls. Profitons-en.
BRAMBOURG [s'asseyant de l'autre cote du bureau.] Je ne demande pas mieux.
JEANNE. Et puis, plus d'images comme tout a l'heure. Vite la prose.
BRAMBOURG. C'est mon avis. Ou en etais-je?
JEANNE. Je vais vous aider. Vous disiez en dernier lieu ...
BRAMBOURG [riant]. Dans mon dernier poeme?
JEANNE [riant aussi]. Oh! oui ... Que votre sort est d'attendre ...
BRAMBOURG. Je me rappelle.
JEANNE. Attention! Vous m'avez promis des reponses tres nettes. Attendre quoi?
BRAMBOURG. Ma chance.
JEANNE. Consoler qui?
BRAMBOURG. Vous.
JEANNE. Moi?.., Donc je suis malheureuse?
BRAMBOURG. Il est bien entendu que nous sommes deux camarades?
JEANNE. Oui, oui.
BRAMBOURG. Eh bien! prouvez-le en avouant l'evidence.
JEANNE. Pour l'instant, je n'avoue rien. J'ecoute. Parlez.
[Elle a les coudes sur la table, le menton dans les mains et regarde Brambourg bien en face.]
BRAMBOURG. Allons, ne me prenez pas pour plus simple que je ne suis. Pardi! vous vous donnez le change a vous-meme en vous repetant "c'est un officier de grande valeur". Evidemment ... c'est presque un grand homme ... D'accord! mais en amour, la verite, la voila toute crue, comme vous la desirez: votre mari a le double de votre age.
JEANNE. Meme un peu plus.
BRAMBOURG [encourage]. Plus du double de votre age. Alors, dans votre deconvenue, pourquoi rester si froide, si tranchante? Vous ne croyez donc pas au devouement, a l'abnegation, a la folie? au respect aussi, oui, au respect. Qu'est-ce que je vous demande, moi, un peu de confiance, le droit de souffrir de vos deceptions, d'etre ... votre ami ... qui vous aime ...
JEANNE [se levant]. Enfin!
BRAMBOURG. Si vous vouliez, je ...
JEANNE. Cela suffit, Monsieur. C'est tres clair, maintenant. Je puis vous repondre. Soyez tranquille, je ne ferai pas du drame de mauvais gout. Ecoutez seulement ceci: J'aime mon mari, oui, je l'aime, et par contre ... je ne suis pas sure d'eprouver pour vous une estime particuliere. Si je ne suis pas extremement claire, dites-le. Je tiens avant tout a nous eviter a tous deux de nouvelles humiliations.
BRAMBOURG. Mes compliments. Bien joue. J'ai ete fait comme un gosse.
JEANNE. Et puisque nous n'avons plus rien a nous dire, rien, jamais, excusez-moi. [Appelant par le rideau.] Monsieur d'Artelles?
BRAMBOURG [se levant]. Pardi!
[Jeanne se retourne vivement vers Brambourg. Corlaix entre, il les examine l'un apres l'autre.]
SCENE III
Les Memes, CORLAIX, D'ARTELLES [entre a la suite de Corlaix]
CORLAIX. Qu'y a-t-il, Jeanne? [Jeanne fait "non" de la tete.]
JEANNE. Rien du tout. Monsieur d'Artelles, voulez-vous me conduire sur le pont. J'ai besoin d'air.
[Sortent Jeanne et d'Artelles.]
SCENE IV
CORLAIX, BRAMBOURG [Un temps. Brambourg esquisse un depart vers le rideau. Corlaix l'appelle.]
CORLAIX. Brambourg?
BRAMBOURG. Commandant?
CORLAIX [cherchant dans ses papiers, sur son bureau]. Au rapport, j'ai trouve un motif de punition ... [Il trouve le rapport.] Voila! [Il le parcourt.] Fichtre! comme vous y allez! Pourtant Dagorne est un bon sujet. Ah! vous savez les rediger, vous, les motifs, les motifs qui font des petits.
BRAMBOURG. Mon Dieu, Commandant ...
CORLAIX. Mon Dieu, oui, un commandant qui punirait sans enquete, tarif d'une main, motif de l'autre ... ma foi, je crois bien que ce commandant flanquerait a ce pauvre diable trente jours de prison effective ... le maximum, vous ne croyez pas, vous?
BRAMBOURG. Trente jours ... c'est beaucoup.
CORLAIX.
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