sa police politique et sa police urbaine: M. Savary, depuis duc
de Rovigo; le grand juge Régnier et H. Dubois. Il leur raconta la très
curieuse histoire de la conspiration; il leur prouva que Moreau et
Pichegru allaient et venaient depuis huit jours dans les rues de Paris
comme de bons bourgeois, et que Georges Cadoudal, gros homme de
moeurs joyeuses, fréquentaient assidûment les cafés de la rive gauche
après son dîner.
L'histoire ne dit pas que son discours fût semé de compliments très
chauds pour ses trois chargés d'affaires au département de la
clairvoyance.
Le futur empereur ne remercia que Dieu--et son ancien ami J.-Victor
Moreau, qu'il avait toujours, regardé comme une bonne arme mal
chargée et susceptible de faire long feu.
Moreau et Pichegru furent arrêtés. Georges Cadoudal, qui n'était
pourtant pas de corpulence à passer par le trou d'une aiguille, resta
libre.
Et Fouché se frotta les mains, disant: Vous verrez qu'il faudra que je
m'en mêle!
Par le fait, les gens de police sont rares, et Fouché lui-même fut en
défaut nombre de fois. Argus a beau posséder cinquante paires d'yeux,
qu'importe s'il est myope? L'histoire des bévues de la police serait
curieuse, instructive, mais monotone et si longue, si longue, que le
découragement viendrait à moitié route.
Nous avions, pour placer ici cette courte digression historique,
plusieurs raisons qui toutes appartiennent à notre métier de conteur.
D'abord il nous plaisait de bien poser le cadre où vont agir les
personnages de notre drame; ensuite il nous semblait utile d'expliquer,
sinon d'excuser, l'inertie de la police urbaine en face de ces rumeurs qui
faisaient, par la ville, une véritable concurrence aux cancans d'État.
La police avait autre chose à faire et ne pouvaient s'occuper de la
vampire. La police s'agitait, cherchait, fouillait, ne trouvait rien et était
sur les dents.
Le 28 février 1804, le jour même où Pichegru fut arrêté dans son lit, rue
Chabanais, chez le courtier de commerce Leblanc, un homme passa
rapidement sur le Marché-Neuf, devant un petit bâtiment qui était en
construction, au rebord même du quai, et dont les échafaudages
dominaient la Seine.
Les maçons qui pliaient bagages et les conducteurs des travaux
connaissaient bien cet homme, car ils l'appelèrent, disant:
--Patron, ne venez-vous point voir si nous avons avancé la besogne
aujourd'hui?
L'homme les salua de la main et poursuivit sa route en remontant le
cours de la rivière.
Maçons et surveillants se prirent à sourire en échangeant des regards
d'intelligence, car il y avait une jeune fille qui allait à quelque cent pas
en avant de l'homme, enveloppée dans une mante de laine noire et
cachant son visage sous un voile.
--Voilà trois jours de suite, dit un tailleur de pierres, que le patron court
le guilledou de ce côté-là.
--Il est vert encore, ajouta un autre, le patron!
Et un troisième:
--Ecoutez donc! on n'est pas de bois! Le patron a un métier qui ne doit
pas le régayer plus que de raison. Il faut bien un peu rire.
Un vieux maçon, qui remettait sa veste, blanche de plâtre, murmura:
--Voilà trente ans que je connais le patron; il ne rit pas comme tout le
monde.
L'homme allait cependant à grand pas, et se perdait déjà derrière les
masures qui encombrent le Marché-Neuf, aux abords de la rue de la
Cité.
Quant à la fillette voilée, elle avait complètement disparu, L'homme
était vieux, mais il avait une haute et noble taille, hardiment dégagée.
Son costume, qui semblait le classer parmi les petits bourgeois,
dispensés de tous frais de toilette, était grandement porté. Il avait, cet
homme, des pieds à la tête, l'allure franche et libre que donne l'habitude
de certains exercices du corps, réservés, d'ordinaire, à la classe la plus
riche.
Du bâtiment en construction jusqu'au pont Notre-Dame, nombre de
gens se découvrirent sur son passage; c'était évidemment une notabilité
du quartier. Il répondait aux saluts d'un geste bienveillant et cordial,
mais il ne ralentissait point sa course.
Sa course semblait calculée, non point pour rejoindre la jeune fille,
mais pour ne la jamais perdre de vue.
Celle-ci, dont les jambes étaient moins longues, allait du plus vite
qu'elle pouvait. Elle ne se savait point poursuivie; du moins pas une
seule fois elle ne tourna la tête pour regarder en arrière.
Elle regardait en avant, de tous ses yeux, de toute son âme. En avant, il
y avait un jeune homme à tournure élégante et hautaine qui longeait en
ce moment le quai de la Grève. Le suivait-elle?
Plus notre homme que les maçons du Marché-Neuf appelaient le patron
approchait de l'Hôtel-de-Ville, moins nombreux étaient les gens qui le
saluaient d'un air de connaissance. Paris est ainsi et contient des
célébrités de rayon qui ne dépassent pas tel numéro de telle rue. Une
fois que l'homme eut atteint le quai

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