la tête en avouant qu'il y avait là «quelque chose»
pouvaient passer pour des modèles de prudence.
Est-il besoin d'ajouter que la politique fournissait sa note à ce concert?
Jamais circonstances ne furent plus propices pour mêler le mélodrame
politique à l'imbroglio du crime privé. De grands événements se
préparaient, de terribles périls, récemment évités, laissaient
l'administration fatiguée et pantelante. L'Empire, qui se fondait à bas
bruit dans la chambre à coucher du premier consul, donnait à la
préfecture les coliques de l'enfantement.
Le citoyen préfet, qui ne devait jamais être un aigle et qui ne s'appelait
pas encore le comte Dubois, tressaillait de la tête aux pieds à chaque
bruit de porte fermée, croyant ouïr un écho de cette machine infernale
dont il n'avait point su prévenir l'explosion. Les sombres inventeurs de
cet engin, Saint-Rejant et Carbon, avaient porté leurs têtes sur
l'échafaud: mais, du fond de sa disgrâce, Fouché murmurait des paroles
qui montaient jusqu'au chef de l'état.
Fouché disait: Saint-Rejant et Carbon ont laissé des fils. Avant eux, il y
avait Ceracchi, Diana et Arena qui ont laissé des frères. Entre le
premier consul et la couronne, il y a la France républicaine et la France
royaliste. Pour sauter ce pas, il faudrait un bon cheval, et Dubois n'est
qu'un âne!
Le mot était dur, mais le futur duc d'Otranto avait une langue de fer.
Celui qui devait être l'empereur l'écoutait bien plus qu'il n'en voulait
avoir l'air.
Quant à Louis-Nicolas-Pierre-Joseph Dubois, ce n'était pas un âne, non,
puisqu'il mangeait des truffes et du poulet, mais c'était un brave homme
prodigieusement embarrassé.
Les cartes se brouillaient, en effet, de nouveau, et une conspiration bien
autrement redoutable que celle de Saint-Rejant menaçait le premier
consul.
Les trois ou quatre polices chargées d'éclairer Paris, affolées tout à
coup par ce danger invisible que chacun sentait, mais dont nul ne
pouvait saisir la trace palpable, s'entre-choquaient dans la nuit de leur
ignorance, se nuisaient l'une à l'autre, se contrecarraient mutuellement,
et surtout s'accusaient réciproquement avec un entrain égal.
Paris avait pour elles tant d'affection et en elles tant de confiance, qu'un
matin, Paris s'éveilla disant et croyant que la vampire, cette friande de
cadavres, était la police, et que les jeunes gens disparus payaient de leur
vie certaines méprises de la police ou des polices frappant au hasard,
les prétendus constructeurs d'une machine infernale.
Ce jour-là Paris oublia de rire; mais il s'en dédommagea le lendemain
en apprenant que Louis-Nicolas-Pierre-Joseph Dubois avait fait cerner
par deux cent cinquante agents l'enclos de la Madeleine, douze heures
juste après la fin d'un conciliabule en plein air tenu par Georges
Cadoudal et ses complices, derrière les murailles de l'église en
construction.
Il semblait, en vérité, que Paris sût ce que le citoyen Dubois ignorait.
Le citoyen Dubois passait au milieu de ces événements, gros de
menaces, comme l'éternel mari de la comédie qui est le seul à ne point
voir les gaietés de sa chambre nuptiale.
Il cherchait partout où il ne devait point trouver, il se démenait, il suait
sang et eau et jetait, en fin de compte, sa langue au chien avec
désespoir.
Ce fut dans ce conciliabule de l'église de la Madeleine que Georges
Cadoudal proposa aux ex-généraux Pichegru et Moreau le plan hardi
qui devait arrêter la carrière du futur empereur.
Le mot hardi est de Fouché, duc d'Otrante Au mot hardi Fouché ajoute
le mot facile.
Voici quel était ce plan, bien connu, presque célèbre.
Les trois conjurés avaient à Paris un contingent hétérogène, puisqu'il
appartenait à tous les partis ennemis du premier consul, mais uni par
une passion commune et composé d'hommes résolus.
Les mémoires contemporains portent ce noyau à deux mille
combattants pour le moins: Vendéens, chouans de Bretagne, gardes
nationaux de Lyon, babouvistes et anciens soldats de Coudé.
Une élite de trois cents hommes, parmi ces partisans, avait été pourvue
d'uniformes appartenant à la garde consulaire.
Le chef de l'État habitait le château de Saint-Cloud.
A la garde montante du matin, et à l'aide d'intelligences qui ne sont pas
entièrement expliquées, les trois cents conjurés, revêtus de l'uniforme
réglementaire, devaient prendre le service du château.
Il paraît prouvé qu'on avait le mot d'ordre.
A son réveil, le premier consul se serait donc trouvé au pouvoir de
l'insurrection.
Le plan manqua, non point par l'action des polices qui l'ignorèrent
jusqu'au dernier moment, mais par l'irrésolution de Moreau. Ce général
était sujet à ces défaillances morales. Il eut frayeur ou remords.
L'exécution du complet fut remise quatre jours de là.
Jamais les complots remis ne s'exécutent.
On raconte qu'un Breton conjuré, M. de Querelles, pris de frayeur à la
vue de ces hésitations, demanda et obtint une audience du premier
consul lui-même et révéla tous les détails du plan.
Napoléon Bonaparte rassembla, dit-on, dans son cabinet, sa police
militaire,

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