La vampire | Page 7

Paul H. C. Féval
porté leurs têtes sur l'échafaud: mais, du fond de sa disgrace, Fouché murmurait des paroles qui montaient jusqu'au chef de l'état.
Fouché disait: Saint-Rejant et Carbon ont laissé des fils. Avant eux, il y avait Ceracchi, Diana et Arena qui ont laissé des frères. Entre le premier consul et la couronne, il y a la France républicaine et la France royaliste. Pour sauter ce pas, il faudrait un bon cheval, et Dubois n'est qu'un ane!
Le mot était dur, mais le futur duc d'Otranto avait une langue de fer.
Celui qui devait être l'empereur l'écoutait bien plus qu'il n'en voulait avoir l'air.
Quant à Louis-Nicolas-Pierre-Joseph Dubois, ce n'était pas un ane, non, puisqu'il mangeait des truffes et du poulet, mais c'était un brave homme prodigieusement embarrassé.
Les cartes se brouillaient, en effet, de nouveau, et une conspiration bien autrement redoutable que celle de Saint-Rejant mena?ait le premier consul.
Les trois ou quatre polices chargées d'éclairer Paris, affolées tout à coup par ce danger invisible que chacun sentait, mais dont nul ne pouvait saisir la trace palpable, s'entre-choquaient dans la nuit de leur ignorance, se nuisaient l'une à l'autre, se contrecarraient mutuellement, et surtout s'accusaient réciproquement avec un entrain égal.
Paris avait pour elles tant d'affection et en elles tant de confiance, qu'un matin, Paris s'éveilla disant et croyant que la vampire, cette friande de cadavres, était la police, et que les jeunes gens disparus payaient de leur vie certaines méprises de la police ou des polices frappant au hasard, les prétendus constructeurs d'une machine infernale.
Ce jour-là Paris oublia de rire; mais il s'en dédommagea le lendemain en apprenant que Louis-Nicolas-Pierre-Joseph Dubois avait fait cerner par deux cent cinquante agents l'enclos de la Madeleine, douze heures juste après la fin d'un conciliabule en plein air tenu par Georges Cadoudal et ses complices, derrière les murailles de l'église en construction.
Il semblait, en vérité, que Paris s?t ce que le citoyen Dubois ignorait. Le citoyen Dubois passait au milieu de ces événements, gros de menaces, comme l'éternel mari de la comédie qui est le seul à ne point voir les gaietés de sa chambre nuptiale.
Il cherchait partout où il ne devait point trouver, il se démenait, il suait sang et eau et jetait, en fin de compte, sa langue au chien avec désespoir.
Ce fut dans ce conciliabule de l'église de la Madeleine que Georges Cadoudal proposa aux ex-généraux Pichegru et Moreau le plan hardi qui devait arrêter la carrière du futur empereur.
Le mot hardi est de Fouché, duc d'Otrante Au mot hardi Fouché ajoute le mot facile.
Voici quel était ce plan, bien connu, presque célèbre.
Les trois conjurés avaient à Paris un contingent hétérogène, puisqu'il appartenait à tous les partis ennemis du premier consul, mais uni par une passion commune et composé d'hommes résolus.
Les mémoires contemporains portent ce noyau à deux mille combattants pour le moins: Vendéens, chouans de Bretagne, gardes nationaux de Lyon, babouvistes et anciens soldats de Coudé.
Une élite de trois cents hommes, parmi ces partisans, avait été pourvue d'uniformes appartenant à la garde consulaire.
Le chef de l'état habitait le chateau de Saint-Cloud.
A la garde montante du matin, et à l'aide d'intelligences qui ne sont pas entièrement expliquées, les trois cents conjurés, revêtus de l'uniforme réglementaire, devaient prendre le service du chateau.
Il para?t prouvé qu'on avait le mot d'ordre.
A son réveil, le premier consul se serait donc trouvé au pouvoir de l'insurrection.
Le plan manqua, non point par l'action des polices qui l'ignorèrent jusqu'au dernier moment, mais par l'irrésolution de Moreau. Ce général était sujet à ces défaillances morales. Il eut frayeur ou remords. L'exécution du complet fut remise quatre jours de là.
Jamais les complots remis ne s'exécutent.
On raconte qu'un Breton conjuré, M. de Querelles, pris de frayeur à la vue de ces hésitations, demanda et obtint une audience du premier consul lui-même et révéla tous les détails du plan.
Napoléon Bonaparte rassembla, dit-on, dans son cabinet, sa police militaire, sa police politique et sa police urbaine: M. Savary, depuis duc de Rovigo; le grand juge Régnier et H. Dubois. Il leur raconta la très curieuse histoire de la conspiration; il leur prouva que Moreau et Pichegru allaient et venaient depuis huit jours dans les rues de Paris comme de bons bourgeois, et que Georges Cadoudal, gros homme de moeurs joyeuses, fréquentaient assid?ment les cafés de la rive gauche après son d?ner.
L'histoire ne dit pas que son discours f?t semé de compliments très chauds pour ses trois chargés d'affaires au département de la clairvoyance.
Le futur empereur ne remercia que Dieu--et son ancien ami J.-Victor Moreau, qu'il avait toujours, regardé comme une bonne arme mal chargée et susceptible de faire long feu.
Moreau et Pichegru furent arrêtés. Georges Cadoudal, qui n'était pourtant pas de corpulence à passer par le trou d'une aiguille, resta libre.
Et Fouché se frotta les mains, disant: Vous verrez qu'il faudra que je m'en mêle!
Par le fait, les gens de
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