La tombe de fer | Page 6

Hendrik Conscience
la couleur, que la main d'un amant pouvait seule atteindre �� ce degr�� d'harmonie. Pour moi, il ��tait indubitable que l'ermite--si r��ellement un ermite veillait sur la tombe--devait ��tre jeune et berc�� encore par les plus douces illusions de la vie. Mais, en regardant le banc de bois aminci par l'usage, je commen?ai �� revenir de ma premi��re id��e.
--Depuis combien de temps ce banc est-il l��? demandai-je au vieillard.
--Depuis quarante ans.
--C'est assur��ment l'ermite qui l'a us�� ainsi en s'y asseyant ou s'y agenouillant pour prier?
--C'est l'ermite, r��pondit mon guide.
--Mais cela d��passe les forces humaines! m'��criai-je avec admiration. S'asseoir pendant, quarante ans pr��s d'une tombe! Si c'est de l'amour, quel sentiment profond, immense, infini! Le sacrifice, le d��vouement, la fusion d'une ame qui vit sur la terre avec une ame qui habite d��j�� le ciel! On pourrait appeler cela de i'idolatrie, si cette aspiration vers le ciel n'attestait pas une foi robuste en la bont�� divine et dans la f��licit�� d'un avenir sans fin. Vivre pour une morte et avec une morte!
--Elle n'est pas morte, murmura le vieillard.
--Pas morte? r��p��tai-je. Quels myst��res, quels prodiges cachent donc ces fleurs?
--Vous feignez de ne pas me comprendre, monsieur, dit le vieillard avec un accent calme et profond; votre coeur m'a pourtant si bien compris! Morte? Mais pendant que je vous parle, je la vois, elle me sourit, j'entends sa voix; elle me crie du milieu de ses fleurs; ?Le temps devient court: j'attends, j'attends!?
--Elle vous attend! m'��criai-je avec stupeur. Est-ce donc vous qui avez us�� ainsi ce banc de bois?
--Nul autre que moi.
--L'ermite?...
--Est le vieillard que le hasard vous a donn�� pour guide, le sculpteur dont vous avez port�� l'albatre, sans savoir quel souvenir sacr�� il y taillera.... Mais venez avec moi, ne me demandez plus rien. Voyez l��, derri��re le mur du cimeti��re, c'est ma demeure; suivez-moi, je vous dirai des choses que nul autre que vous n'a jamais sues aussi bien que vous allez les savoir.
Je me laissai conduire hors du cimeti��re, sans rien dire. Chemin faisant, le vieillard reprit:
--Depuis que ce tombeau de fer est l��, je n'ai jamais ��panch�� les sentiments de mon coeur dans le sein de personne. Je vous aime parce que, dans vos ouvrages, je vous ai trouv�� capable de comprendre une vie que les autres nomment une longue folie. Mon passage sur la terre touche �� sa fin: un pressentiment secret me dit que je la verrai bient?t autrement que par le souvenir. Recevez la confidence de ce que j'ai esp��r�� et souffert, et, lorsque je reposerai �� c?t�� d'elle dans le tombeau, racontez alors mon humble et triste vie, si vous croyez qu'elle vaille la peine d'��tre ��crite.
Il s'arr��ta derri��re le mur du cimeti��re et sonna �� la porte d'une maison �� fa?ade blanche, dont les fen��tres ��taient ferm��es par des volets verts. Une vieille servante ouvrit, et, pendant que nous entrions, le vieillard dit:
--Catherine, voici un ami qui d?nera avec moi. Mettez un second couvert.
La servante s'��loigna sans mot dire.
Je voulus m'excuser de l'embarras que ma pr��sence causait au vieillard et �� sa vieille servante; mais il me prit la main et me conduisit au fond de sa maison, dans une grande chambre qui prenait jour sur un vaste jardin tout ��maill�� de fleurs. L'aspect de cette chambre m'��tonna. J'aurais pu me croire transport�� par enchantement dans une salle d'��tude de l'Acad��mie d'Anvers, car elle contenait une multitude d'objets que j'avais eus plus d'une fois entre les mains, ou dont j'avais vu les pareils des centaines de fois.
--Jetez un rapide coup d'oeil sur ces objets, me dit le vieillard. Ils jouent tous un r?le plus ou moins important dans l'histoire que je vais vous raconter; mais ne me demandez pas maintenant une explication �� leur sujet. Ce serait du temps perdu, et cela m'obligerait �� des r��p��titions fastidieuses.
Pourtant, je n'avais jamais vu ce que mon h?te me montra tout d'abord, et je n'y pus trouver aucune signification. Sur une table se trouvaient toutes sortes de figures informes de chiens, de vaches, d'oiseaux, de chevaux et d'autres animaux, tr��s-grossi��rement taill��s au couteau dans du bois blanc. Sur un morceau de velours bleu s'��talaient deux ou trois figures assez rares, �� c?t�� d'une de ces bo?tes d'opale o�� les femmes mettent des pastilles de menthe ou des drag��es de citron. On y voyait aussi un couteau �� manche de nacre, et plusieurs m��dailles d'or et d'argent avec des rubans verts fan��s.
En faisant le tour de la chambre, je vis successivement le long des murs toutes les _��tudes_ ordinaires des jeunes ��l��ves de l'acad��mie d'Anvers: des nez, des oreilles, des mains, des t��tes, puis des figures enti��res; plus loin, tout cela se trouvait reproduit en terre glaise s��ch��e, puis aussi en platre.
Je ne vis qu'une seule composition caract��ristique; au bout de cette chambre. L'artiste y attachait sans
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