elles par le vent.
--Ah! oui, les soeurs de la jeune fille du Saut de Tibère!» Et Julien
lança dans l'air un joyeux rire.
«Ne riez pas, signor! Si elles vous entendaient!» Le pêcheur se signa
dévotement, et montra à Paul et à Julien le chemin qu'il fallait prendre
pour redescendre vers la Petite Marine. C'était un passage taillé dans le
roc, avec des marches en moins: des trous et des saillies, plus de route.
Le pied glissait sur les roches polies, s'écorchait contre des pointes, et
parfois des pierres s'éboulaient tout à coup, entraînant dans leur chute
celles qu'elles rencontraient. Le souffle humide de la mer arrivait en
plein visage, envoyant ses bouffées salines, et de temps à autre comme
une rosée enlevée par le vent à la crête des vagues; puis retentissait un
bruit solennel, continu, sans interruption: le flot roulant les galets et
battant la falaise. Ils descendaient toujours.
Enfin une éclaircie se fit devant eux; une baie s'ouvrait dans le rocher,
montrant le bleu de l'eau joint à l'azur plus clair du ciel, et au bas du
sentier une petite plage de galets où la mer venait déferler en petites
lames courtes, garnies d'une frange d'écume: c'était la Petite Marine,
une sorte de refuge pour les barques de pêche. Dans la falaise
s'enclavaient quelques maisonnettes, et deux canots étaient tirés à sec.
Parfois le vent d'Afrique, le Sirocco, arrive terrible et souffle en plein
dans la Petite Marine; alors les pointes de rochers abritent les pêcheurs
et les défendent de la mer. Là, entre deux immenses rochers pointant
leurs têtes dans les nuages, se trouvait la cabane de Pagano, adossée à
un bloc énorme.
Le guide s'empressa de conduire les voyageurs sur cette espèce
d'avancée et de leur montrer encore les rochers immobiles au milieu
des vagues:
«Les voyez-vous?
--Parfaitement, répondit Julien. Et maintenant, ami Pagano, ton histoire?
Nous sommes aussi désireux de l'entendre que toi de la raconter.»
La nuit tombait, la course avait été longue et fatigante au milieu de ces
montées, de ces descentes continuelles; les deux amis s'assirent
gaiement à la table du pêcheur et partagèrent le repas de sa famille.
Quand ils eurent terminé, la femme de Pagano alluma un feu de bois
sec dans la cheminée, et les deux amis, la cigarette à la bouche, les
pieds à la chaleur, prêtèrent l'oreille au récit du guide.
«Il y a vingt ans environ, un matin, nous trouvions sur la plage de la
Petite Marine un homme étendu: le corps, à moitié dans l'eau, roulait un
peu à chaque vague nouvelle avec un mouvement régulier et lent, mais
il était raide, glacé; autour de lui pas un débris n'expliquait sa présence
en cet endroit, et nous n'avions entendu parler d'aucun naufrage aux
environs. A force de soins, au bout de quelques heures, le malheureux
reprit peu a peu connaissance et put nous remercier de l'avoir sauvé et
recueilli. Il était Napolitain, du moins nous l'affirma-t-il, car personne
ici ne le connaissait, et il ne retourna jamais à Naples. Embarqué
très-jeune, Giovanni Massa avait beaucoup voyagé, faisant plusieurs
fois le tour du monde et passant une partie de sa vie dans les îles de
l'océan Indien. Puis, un immense désir l'avait pris de revoir l'Italie, et il
résolut de quitter à l'insu de ses camarades le navire sur lequel il se
trouvait. Une nuit, l'occasion se présenta, il s'enfuit sur une petite
barque; mais le gros temps lui fit perdre sa route et un courant le jeta
sur des rochers voisins de Capri. A partir de ce moment jusqu'à son
retour à la vie au milieu de nous, il disait ne se souvenir de rien. Sa
barque avait échoué sur les Sirènes.
--Par reconnaissance, il voulut rester quelque temps ici et nous aider
dans notre travail, dans nos pêches. Les jours passèrent, il ne parlait pas
de retourner à Naples. Enfin, après un séjour de deux mois, il déclara
vouloir se fixer tout à fait à la Petite Marine. Avec l'argent de ses
économies, qu'il avait eu la précaution de serrer dans une ceinture avant
de quitter son navire, il s'acheta une barque et tout un attirail de pêche;
puis, par une bizarrerie que chacun trouva dangereuse et imprudente, il
se construisit une petite cabane sur la plage qui regarde les Sirènes, au
pied d'un rocher que la mer baigne parfois pendant les tempêtes.
Comme il ne faisait que du bien, causant, pêchant, amusant les enfants
par ses contes et les hommes par ses récits de voyages, on s'occupa peu
de ses fantaisies excentriques: il plaisait à tous.
«Un soir il partit tout seul, selon son habitude, et mit sa barque à la mer,
malgré les menaces du temps; on chercha vainement à le dissuader de
se mettre en route, il n'écouta personne et piqua
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