moins bien et que le coeur
sent moins vivement.
Paul Maresmes, grand jeune homme blond, très-distingué d'allures sous
le négligé de son costume de voyage, attirait par la franchise de sa
physionomie: une longue moustache blonde ornait seulement son
visage naturellement pâle et un peu féminin dans les contours. L'oeil,
très-bleu, semblait regarder plus loin que la vie matérielle, plus loin que
l'objet, et fouillait volontiers les horizons. Paul était né poëte, avec ce
tempérament nerveux, impressionnable, presque maladif, particulier à
certains amants de la muse. Souvent, plongé dans ses réflexions ou
emporté par quelque rêverie, il se laissait entraîner hors de toute limite
matérielle, suivant son rêve au delà du possible, et finissant par en faire
une réalité qu'il voulait adapter aux choses de la vie. C'est alors que son
ami venait à son secours, le ramenant sur la terre et s'efforçant de
chasser de semblables mirages. Julien Danoux, plus petit que le poëte,
brun de cheveux et de barbe, le visage coloré et les yeux vifs, était aussi
plus réaliste, plus amoureux de la nature: sa profession de peintre le
rapprochait davantage de la terre; il aimait ce qu'il voyait et ne suivait
son compagnon dans les nuages que pour le faire revenir au sentiment
naturel, au terre à terre prosaïque de la vie de chaque jour.
Tous deux avaient quitté Paris pour une longue excursion en pays
italien; Paul, avec plusieurs rames de papier blanc, d'excellentes plumes
et des projets de poëmes gigantesques; Julien, muni de toiles blanches,
de couleurs, de pinceaux, et rêvant des tableaux cyclopéens.
S'entendant à merveille, nos amis se trouvaient toujours d'accord pour
admirer les belles choses et maudire le laid. Ils déclarèrent Turin une
ville assommante, malgré son musée, en voyant ses rues tirées en ligne
droite et aboutissant toutes à un centre commun. Il fallut Milan pour
réhabiliter l'Italie à leurs yeux, et ils n'auraient pu quitter Venise,
Saint-Marc, les gondoles et les Paul Véronèse, s'ils n'avaient eu en
perspective Florence, la cité des fleurs et des chefs-d'oeuvre, la patrie
des Guelfes et des Gibelins. De Florence à Rome, de Rome à Naples,
ils avaient regardé, chanté et peint sans trêve ni repos. Leur dernier rêve
avant le retour à Paris, passer une quinzaine de jours à Capri, allait se
réaliser: le bateau les y conduisait.
«Ami, disait Paul, quel merveilleux spectacle, que de souvenirs autour
de nous, quel monde passé nous enveloppe de sa mémoire! jusqu'à ce
ciel que le Vésuve a souillé de ses cendres, le jour où il a détruit
Pompéi, jusqu'à ce rivage lointain où Pline succomba! Auguste et
Tibère sont venus mourir ici, et leurs âmes errantes reviennent peut-être
visiter ces rivages Là-bas, le Pausilippe avec le tombeau de Virgile; de
l'autre côté, Sorrente, le berceau du Tasse. Il faut aux rêveurs cette vue
de la mer, cet aperçu sur l'étendue; et la cendre glacée du poëte ami de
Mécène doit encore tressaillir, quand souffle la tempête, quand la vague
vient battre le rocher où il repose, et que les hurlements de la rafale
clament sur son mausolée! Plus loin, n'est-ce pas la petite île de Nisida?
--Oui, Nisida, avec les débris des réservoirs du fastueux Lucullus.
Asinius Pollion y possédait aussi des piscines, où ses voraces murenes
étaient délicatement nourries de chair humaine.
--Ne rappelle pas ces affreux souvenirs.
--L'histoire, mon ami, l'histoire dans toute sa crudité!
--Julien, peux-tu songer à cela au milieu de cette magie de la nature?
--Magie! tu as raison: n'est-ce pas désespérant pour un peintre,
reprenait le jeune homme désignant les silhouettes d'Ischia et de
Procida, de voir un bleu semblable? Comment rendre cette finesse,
cette incroyable transparence, et les fixer sur la toile? Essayez un peu
de peindre, comme vous les voyez, l'aspect glauque de la mer, l'or du
ciel et les tons d'outremer de ces îles!
--Contente-toi d'admirer.
--J'admire, mais je rage de me sentir aussi impuissant.
--Regarde maintenant la nouvelle figure que présente Capri.
«Nous arriverons bientôt: la distance diminue à vue d'oeil.»
Cependant, au fond du golfe, Naples se concentrait de plus en plus, se
tassait, formant un amas compacte de villas et de maisons: tout se
confondait en une longue tache blanche, couronnée par la masse vert
sombre de Capodimonte. Au contraire, enlace, grandissait l'île de Capri,
séparée en deux par un creux profond et dressant à une hauteur inouïe
ses rochers, ses pics et ses montagnes. C'était toujours l'île décrite par
Suétone comme inaccessible à cause de l'élévation de ses rochers et de
l'abîme des mers qui l'encerclaient de toutes parts.
Son aspect rocheux, abrupt, presque farouche, disparaissait peu à peu:
déjà apparaissaient des bouquets d'arbres et de verdure; des
maisonnettes se dressaient, éclatantes de blancheur sous la lumière
vigoureuse du soleil. Une verdoyante vallée, tachée de points blancs, de
plaques lumineuses, reliait maintenant les deux énormes
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