La reine Margot - Tome II | Page 4

Alexandre Dumas
le duc d’Alen?on palissait d’angoisse. Puis il fit quelques pas en arrière pour laisser Catherine libre de parler à son fils.
La reine mère alors tira de son aum?nière un joyau magnifique.
-- Cette agrafe vient de Florence, dit-elle, je vous la donne pour mettre au ceinturon de votre épée. Puis tout bas:
-- Si, continua-t-elle, vous entendez ce soir du bruit chez votre bon frère Henri, ne bougez pas. Fran?ois serra la main de sa mère, et dit:
-- Me permettez-vous de lui montrer le beau présent que vous venez de me faire?
-- Faites mieux, donnez-le-lui en votre nom et au mien, car j’en avais ordonné une seconde à mon intention.
-- Vous entendez, Henri, dit Fran?ois, ma bonne mère m’apporte ce bijou, et en double la valeur en permettant que je vous le donne.
Henri s’extasia sur la beauté de l’agrafe, et se confondit en remerciements. Quand ses transports se furent calmés:
-- Mon fils, dit Catherine, je me sens un peu indisposée, et je vais me mettre au lit; votre frère Charles est bien fatigué de sa chute et va en faire autant. On ne soupera donc pas en famille ce soir, et nous serons servis chacun chez nous. Ah! Henri, j’oubliais de vous faire mon compliment sur votre courage et votre adresse: vous avez sauvé votre roi et votre frère, vous en serez récompensé.
-- Je le suis déjà, madame! répondit Henri en s’inclinant.
-- Par le sentiment que vous avez fait votre devoir, reprit Catherine, ce n’est pas assez, et croyez que nous songeons, Charles et moi, à faire quelque chose qui nous acquitte envers vous.
-- Tout ce qui me viendra de vous et de mon bon frère sera bienvenu, madame. Puis il s’inclina et sortit.
-- Ah! mon frère Fran?ois, pensa Henri en sortant, je suis s?r maintenant de ne pas partir seul, et la conspiration, qui avait un corps, vient de trouver une tête et un coeur. Seulement prenons garde à nous. Catherine me fait un cadeau, Catherine me promet une récompense: il y a quelque diablerie là-dessous; je veux conférer ce soir avec Marguerite.

II La reconnaissance du roi Charles IX
Maurevel était resté une partie de la journée dans le cabinet des Armes du roi; mais, quand Catherine avait vu approcher le moment du retour de la chasse, elle l’avait fait passer dans son oratoire avec les sbires qui l’étaient venus rejoindre.
Charles IX, averti à son arrivée par sa nourrice qu’un homme avait passé une partie de la journée dans son cabinet, s’était d’abord mis dans une grande colère qu’on se f?t permis d’introduire un étranger chez lui. Mais se l’étant fait dépeindre, et sa nourrice lui ayant dit que c’était le même homme qu’elle avait été elle- même chargée de lui amener un soir, le roi avait reconnu Maurevel; et se rappelant l’ordre arraché le matin par sa mère, il avait tout compris.
-- Oh! oh! murmura Charles, dans la même journée où il m’a sauvé la vie; le moment est mal choisi.
En conséquence il fit quelques pas pour descendre chez sa mère; mais une pensée le retint.
-- Mordieu! dit-il, si je lui parle de cela, ce sera une discussion à n’en pas finir; mieux vaut que nous agissions chacun de notre c?té.
-- Nourrice, dit-il, ferme bien toutes les portes, et préviens la reine élisabeth[1], qu’un peu souffrant de la chute que j’ai faite, je dormirai seul cette nuit.
La nourrice obéit, et, comme l’heure d’exécuter son projet n’était pas arrivée, Charles se mit à faire des vers.
C’était l’occupation pendant laquelle le temps passait le plus vite pour le roi. Aussi neuf heures sonnèrent-elles que Charles croyait encore qu’il en était à peine sept. Il compta l’un après l’autre les battements de la cloche, et au dernier il se leva.
-- Nom d’un diable! dit-il, il est temps tout juste. Et, prenant son manteau et son chapeau, il sortit par une porte secrète qu’il avait fait percer dans la boiserie, et dont Catherine elle-même ignorait l’existence. Charles alla droit à l’appartement de Henri. Henri n’avait fait que rentrer chez lui pour changer de costume en quittant le duc d’Alen?on, et il était sorti aussit?t.
-- Il sera allé souper chez Margot, se dit le roi; il était au mieux aujourd’hui avec elle, à ce qu’il m’a semblé du moins. Et il s’achemina vers l’appartement de Marguerite.
Marguerite avait ramené chez elle la duchesse de Nevers, Coconnas et La Mole, et faisait avec eux une collation de confitures et de patisseries.
Charles heurta à la porte d’entrée: Gillonne alla ouvrir; mais à l’aspect du roi elle fut si épouvantée, qu’elle trouva à peine la force de faire la révérence, et qu’au lieu de courir pour prévenir sa ma?tresse de l’auguste visite qui lui arrivait, elle laissa passer Charles sans donner d’autre signal que le cri qu’elle avait poussé.
Le roi traversa l’antichambre, et, guidé par les éclats de rire, il
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