La reine Margot - Tome I | Page 4

Alexandre Dumas

par tout le Louvre: c’est que la jeune fiancée, après être allée déposer sa
toilette d’apparat, son manteau traînant et son long voile, venait de
rentrer dans la salle de bal, accompagnée de la belle duchesse de
Nevers, sa meilleure amie, et menée par son frère Charles IX, qui la
présentait aux principaux de ses hôtes.
Cette fiancée, c’était la fille de Henri II, c’était la perle de la couronne
de France, c’était Marguerite de Valois, que, dans sa familière
tendresse pour elle, le roi Charles IX n’appelait jamais que _ma soeur
Margot._
Certes jamais accueil, si flatteur qu’il fût, n’avait été mieux mérité que
celui qu’on faisait en ce moment à la nouvelle reine de Navarre.
Marguerite à cette époque avait vingt ans à peine, et déjà elle était
l’objet des louanges de tous les poètes, qui la comparaient les uns à
l’Aurore, les autres à Cythérée. C’était en effet la beauté sans rivale de
cette cour où Catherine de Médicis avait réuni, pour en faire ses sirènes,
les plus belles femmes qu’elle avait pu trouver. Elle avait les cheveux
noirs, le teint brillant, l’oeil voluptueux et voilé de longs cils, la bouche
vermeille et fine, le cou élégant, la taille riche et souple, et, perdu dans
une mule de satin, un pied d’enfant. Les Français, qui la possédaient,
étaient fiers de voir éclore sur leur sol une si magnifique fleur, et les
étrangers qui passaient par la France s’en retournaient éblouis de sa
beauté s’ils l’avaient vue seulement, étourdis de sa science s’ils avaient
causé avec elle. C’est que Marguerite était non seulement la plus belle,
mais encore la plus lettrée des femmes de son temps, et l’on citait le
mot d’un savant italien qui lui avait été présenté, et qui, après avoir
causé avec elle une heure en italien, en espagnol, en latin et en grec,

l’avait quittée en disant dans son enthousiasme: «Voir la cour sans voir
Marguerite de Valois, c’est ne voir ni la France ni la cour.»
Aussi les harangues ne manquaient pas au roi Charles IX et à la reine
de Navarre; on sait combien les huguenots étaient harangueurs. Force
allusions au passé, force demandes pour l’avenir furent adroitement
glissées au roi au milieu de ces harangues; mais à toutes ces allusions,
il répondait avec ses lèvres pâles et son sourire rusé:
-- En donnant ma soeur Margot à Henri de Navarre, je donne mon
coeur à tous les protestants du royaume.
Mot qui rassurait les uns et faisait sourire les autres, car il avait
réellement deux sens: l’un paternel, et dont en bonne conscience
Charles IX ne voulait pas surcharger sa pensée; l’autre injurieux pour
l’épousée, pour son mari et pour celui-là même qui le disait, car il
rappelait quelques sourds scandales dont la chronique de la cour avait
déjà trouvé moyen de souiller la robe nuptiale de Marguerite de Valois.
Cependant M. de Guise causait, comme nous l’avons dit, avec Téligny;
mais il ne donnait pas à l’entretien une attention si soutenue qu’il ne se
détournât parfois pour lancer un regard sur le groupe de dames au
centre duquel resplendissait la reine de Navarre. Si le regard de la
princesse rencontrait alors celui du jeune duc, un nuage semblait
obscurcir ce front charmant autour duquel des étoiles de diamants
formaient une tremblante auréole, et quelque vague dessein perçait
dans son attitude impatiente et agitée.
La princesse Claude, soeur aînée de Marguerite, qui depuis quelques
années déjà avait épousé le duc de Lorraine, avait remarqué cette
inquiétude, et elle s’approchait d’elle pour lui en demander la cause,
lorsque chacun s’écartant devant la reine mère, qui s’avançait appuyée
au bras du jeune prince de Condé, la princesse se trouva refoulée loin
de sa soeur. Il y eut alors un mouvement général dont le duc de Guise
profita pour se rapprocher de madame de Nevers, sa belle-soeur, et par
conséquent de Marguerite. Madame de Lorraine, qui n’avait pas perdu
la jeune reine des yeux, vit alors, au lieu de ce nuage qu’elle avait
remarqué sur son front, une flamme ardente passer sur ses joues.
Cependant le duc s’approchait toujours, et quand il ne fut plus qu’à
deux pas de Marguerite, celle-ci, qui semblait plutôt le sentir que le
voir, se retourna en faisant un effort violent pour donner à son visage le
calme et l’insouciance; alors le duc salua respectueusement, et, tout en

s’inclinant devant elle, murmura à demi-voix:
-- _Ipse attuli._
Ce qui voulait dire:
«Je l’ai_ apporté_, ou _apporté moi-même_.»
Marguerite rendit sa révérence au jeune duc, et, en se relevant, laissa
tomber cette réponse:
-- _Noctu pro more. _Ce qui signifiait: «Cette nuit comme d’habitude.»
Ces douces paroles, absorbées par l’énorme collet goudronné de la
princesse comme par l’enroulement d’un porte-voix, ne furent
entendues que de la personne à laquelle on les adressait;
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