eux-mêmes des compliments
bien mérités sur les deux batailles de Jarnac et de Moncontour, qu’il
avait gagnées avant d’avoir atteint l’âge de dix-huit ans, plus précoce
en cela que n’avaient été César et Alexandre, auxquels on le comparait
en donnant, bien entendu, l’infériorité aux vainqueurs d’Issus et de
Pharsale; le duc d’Alençon regardait tout cela de son oeil caressant et
faux; la reine Catherine rayonnait de joie et, toute confite en
gracieusetés, complimentait le prince Henri de Condé sur son récent
mariage avec Marie de Clèves; enfin MM. de Guise eux-mêmes
souriaient aux formidables ennemis de leur maison, et le duc de
Mayenne discourait avec M. de Tavannes et l’amiral sur la prochaine
guerre qu’il était plus que jamais question de déclarer à Philippe II.
Au milieu de ces groupes allait et venait, la tête légèrement inclinée et
l’oreille ouverte à tous les propos, un jeune homme de dix-neuf ans, à
l’oeil fin, aux cheveux noirs coupés très court, aux sourcils épais, au
nez recourbé comme un bec d’aigle, au sourire narquois, à la
moustache et à la barbe naissantes. Ce jeune homme, qui ne s’était fait
remarquer encore qu’au combat d’Arnay-le-Duc où il avait bravement
payé de sa personne, et qui recevait compliments sur compliments, était
l’élève bien-aimé de Coligny et le héros du jour; trois mois auparavant,
c’est-à-dire à l’époque où sa mère vivait encore, on l’avait appelé le
prince de Béarn; on l’appelait maintenant le roi de Navarre, en
attendant qu’on l’appelât Henri IV.
De temps en temps un nuage sombre et rapide passait sur son front;
sans doute il se rappelait qu’il y avait deux mois à peine que sa mère
était morte, et moins que personne il doutait qu’elle ne fût morte
empoisonnée. Mais le nuage était passager et disparaissait comme une
ombre flottante; car ceux qui lui parlaient, ceux qui le félicitaient, ceux
qui le coudoyaient, étaient ceux-là mêmes qui avaient assassiné la
courageuse Jeanne d’Albret.
À quelques pas du roi de Navarre, presque aussi pensif, presque aussi
soucieux que le premier affectait d’être joyeux et ouvert, le jeune duc
de Guise causait avec Téligny. Plus heureux que le Béarnais, à
vingt-deux ans sa renommée avait presque atteint celle de son père, le
grand François de Guise. C’était un élégant seigneur, de haute taille, au
regard fier et orgueilleux, et doué de cette majesté naturelle qui faisait
dire, quand il passait, que près de lui les autres princes paraissaient
peuple. Tout jeune qu’il était, les catholiques voyaient en lui le chef de
leur parti, comme les huguenots voyaient le leur dans ce jeune Henri de
Navarre dont nous venons de tracer le portrait. Il avait d’abord porté le
titre de prince de Joinville, et avait fait, au siège d’Orléans, ses
premières armes sous son père, qui était mort dans ses bras en lui
désignant l’amiral Coligny pour son assassin. Alors le jeune duc,
comme Annibal, avait fait un serment solennel: c’était de venger la
mort de son père sur l’amiral et sur sa famille, et de poursuivre ceux de
sa religion sans trêve ni relâche, ayant promis à Dieu d’être son ange
exterminateur sur la terre jusqu’au jour où le dernier hérétique serait
exterminé. Ce n’était donc pas sans un profond étonnement qu’on
voyait ce prince, ordinairement si fidèle à sa parole, tendre la main à
ceux qu’il avait juré de tenir pour ses éternels ennemis et causer
familièrement avec le gendre de celui dont il avait promis la mort à son
père mourant.
Mais, nous l’avons dit, cette soirée était celle des étonnements.
En effet, avec cette connaissance de l’avenir qui manque heureusement
aux hommes, avec cette faculté de lire dans les coeurs qui n’appartient
malheureusement qu’à Dieu, l’observateur privilégié auquel il eût été
donné d’assister à cette fête, eût joui certainement du plus curieux
spectacle que fournissent les annales de la triste comédie humaine.
Mais cet observateur qui manquait aux galeries intérieures du Louvre,
continuait dans la rue à regarder de ses yeux flamboyants et à gronder
de sa voix menaçante: cet observateur c’était le peuple, qui, avec son
instinct merveilleusement aiguisé par la haine, suivait de loin les
ombres de ses ennemis implacables et traduisait leurs impressions aussi
nettement que peut le faire le curieux devant les fenêtres d’une salle de
bal hermétiquement fermée. La musique enivre et règle le danseur,
tandis que le curieux voit le mouvement seul et rit de ce pantin qui
s’agite sans raison, car le curieux, lui, n’entend pas la musique.
La musique qui enivrait les huguenots, c’était la voix de leur orgueil.
Ces lueurs qui passaient aux yeux des Parisiens au milieu de la nuit,
c’étaient les éclairs de leur haine qui illuminaient l’avenir.
Et cependant tout continuait d’être riant à l’intérieur, et même un
murmure plus doux et plus flatteur que jamais courait en ce moment
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