La reine Margot - Tome I | Page 5

Alexandre Dumas
mais si court
qu’eût été le dialogue, sans doute il embrassait tout ce que les deux
jeunes gens avaient à se dire, car après cet échange de deux mots contre
trois, ils se séparèrent, Marguerite le front plus rêveur, et le duc le front
plus radieux qu’avant qu’ils se fussent rapprochés. Cette petite scène
avait eu lieu sans que l’homme le plus intéressé à la remarquer eût paru
y faire la moindre attention, car, de son côté, le roi de Navarre n’avait
d’yeux que pour une seule personne qui rassemblait autour d’elle une
cour presque aussi nombreuse que Marguerite de Valois, cette personne
était la belle madame de Sauve.
Charlotte de Beaune-Semblançay, petite-fille du malheureux
Semblançay et femme de Simon de Fizes, baron de Sauve, était une des
dames d’atours de Catherine de Médicis, et l’une des plus redoutables
auxiliaires de cette reine, qui versait à ses ennemis le philtre de l’amour
quand elle n’osait leur verser le poison florentin; petite, blonde, tour à
tour pétillante de vivacité ou languissante de mélancolie, toujours prête
à l’amour et à l’intrigue, les deux grandes affaires qui, depuis cinquante
ans, occupaient la cour des trois rois qui s’étaient succédé; femme dans
toute l’acception du mot et dans tout le charme de la chose, depuis
l’oeil bleu languissant ou brillant de flammes jusqu’aux petits pieds
mutins et cambrés dans leurs mules de velours, madame de Sauve
s’était, depuis quelques mois déjà, emparée de toutes les facultés du roi
de Navarre, qui débutait alors dans la carrière amoureuse comme dans
la carrière politique; si bien que Marguerite de Navarre, beauté
magnifique et royale, n’avait même plus trouvé l’admiration au fond du
coeur de son époux; et, chose étrange et qui étonnait tout le monde,
même de la part de cette âme pleine de ténèbres et de mystères, c’est
que Catherine de Médicis, tout en poursuivant son projet d’union entre

sa fille et le roi de Navarre, n’avait pas discontinué de favoriser presque
ouvertement les amours de celui-ci avec madame de Sauve. Mais
malgré cette aide puissante et en dépit des moeurs faciles de l’époque,
la belle Charlotte avait résisté jusque-là; et de cette résistance inconnue,
incroyable, inouïe, plus encore que de la beauté et de l’esprit de celle
qui résistait, était née dans le coeur du Béarnais une passion qui, ne
pouvant se satisfaire, s’était repliée sur elle-même et avait dévoré dans
le coeur du jeune roi la timidité, l’orgueil et jusqu’à cette insouciance,
moitié philosophique, moitié paresseuse, qui faisait le fond de son
caractère.
Madame de Sauve venait d’entrer depuis quelques minutes seulement
dans la salle de bal: soit dépit, soit douleur, elle avait résolu d’abord de
ne point assister au triomphe de sa rivale, et, sous le prétexte d’une
indisposition, elle avait laissé son mari, secrétaire d’État depuis cinq
ans, venir seul au Louvre. Mais en apercevant le baron de Sauve sans sa
femme, Catherine de Médicis s’était informée des causes qui tenaient
sa bien-aimée Charlotte éloignée; et, apprenant que ce n’était qu’une
légère indisposition, elle lui avait écrit quelques mots d’appel, auxquels
la jeune femme s’était empressée d’obéir. Henri, tout attristé qu’il avait
été d’abord de son absence, avait cependant respiré plus librement
lorsqu’il avait vu M. de Sauve entrer seul; mais au moment où, ne
s’attendant aucunement à cette apparition, il allait en soupirant se
rapprocher de l’aimable créature qu’il était condamné, sinon à aimer,
du moins à traiter en épouse, il avait vu au bout de la galerie surgir
madame de Sauve; alors il était demeuré cloué à sa place, les yeux fixés
sur cette Circé qui l’enchaînait à elle comme un lien magique, et, au
lieu de continuer sa marche vers sa femme, par un mouvement
d’hésitation qui tenait bien plus à l’étonnement qu’à la crainte, il
s’avança vers madame de Sauve.
De leur côté les courtisans, voyant que le roi de Navarre, dont on
connaissait déjà le coeur inflammable, se rapprochait de la belle
Charlotte, n’eurent point le courage de s’opposer à leur réunion; ils
s’éloignèrent complaisamment, de sorte qu’au même instant où
Marguerite de Valois et M. de Guise échangeaient les quelques mots
latins que nous avons rapportés, Henri, arrivé près de madame de Sauve,
entamait avec elle en français fort intelligible, quoique saupoudré
d’accent gascon, une conversation beaucoup moins mystérieuse.

-- Ah! ma mie! lui dit-il, vous voilà donc revenue au moment où l’on
m’avait dit que vous étiez malade et où j’avais perdu l’espérance de
vous voir?
-- Votre Majesté, répondit madame de Sauve, aurait-elle la prétention
de me faire croire que cette espérance lui avait beaucoup coûté à
perdre?
-- Sang-diou! je crois bien, reprit le Béarnais; ne savez-vous point que
vous êtes mon soleil pendant le jour et mon étoile pendant la nuit? En
vérité je me croyais dans l’obscurité la plus profonde, lorsque vous
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